Le témoignage d’Eugénie (Lycée Condorcet, Paris)
Voyage à Izieu et Lyon
Le réveil sonne plus tôt que d’habitude, le trajet de métro change, je ne me dirige pas vers le lycée mais vers la gare de Lyon, où toute la classe est regroupée dans le hall. Dans l’excitation du départ, nous comparons la taille de nos sacs bourrés de choses inutiles que nous avons pris soin d’emporter, nous pronostiquons sur le numéro du quai de notre train, nous nous échangeons nos sandwichs pour ce midi. Mais nous sommes à des kilomètres de nous imaginer l’impact que nos prochaines visites auront sur nous. Pour l’instant, c’est encore très loin.
Notre train file gaiement vers le sud. Après un déplacement en car, nous arrivons à la maison des Iles, l’auberge où nous dormirons cette nuit, dans le petit village de La Bruyère. Un immeuble en bois au bord du Rhône, bleu sous un ciel sans nuages. L’atmosphère paraît idyllique et ne fait qu’accentuer notre joyeuse humeur.
Nous mangeons nos pique-niques préparés avec amour dans le verger de la maison d’Izieu, situé sur une hauteur dominant le fleuve. La bonne ambiance, due essentiellement à la présence du soleil et au repos dans l’herbe, est palpable sur les visages et dans les conversations.
Puis les regards se concentrent et se font plus graves. Carnets de notes à la main, nous nous avançons vers « La Grange », le lieu d’histoire d’Izieu : un musée consacré à la rafle, en la replaçant dans son contexte historique.
Au rez-de-chaussée, des panneaux sur la France antisémite et collaboratrice de Vichy : un épisode honteux qui est longtemps resté mal connu des Français, mais dont on assume depuis peu la responsabilité dans le processus de déportation des Juifs de France.
A l’étage, la rafle du 6 avril 1944 des enfants de la maison d’Izieu est reconstituée en détail. Nous pouvons également nous intéresser à des travaux sur le procès de Klaus Barbie et la notion de crime contre l’humanité.
Ensuite, nous entrons dans la maison d’Izieu, le lieu de mémoire. Elle a été rénovée car elle a été réutilisée après la guerre. En revanche, les photos, lettres et dessins des enfants accrochés au mur sont intacts. Nous déambulons en silence dans ce paisible lieu dont personne n’aurait pu imaginer l’atroce histoire. La maison n’est pas grande mais elle est chaleureuse ; les enfants, d’après les lettres destinées à leurs parents, semblent s’y plaire… Ils y sont bien nourris, encadrés et tentent de vivre au mieux, malgré l’absence de leurs parents cachés ou déjà déportés.
Sur les photos, les enfants sourient, en compagnie de leurs frères, sœurs, et amis.
Au fur et à mesure que l’on se déplace dans cette maison, l’émotion monte. La simple lecture d’une lettre d’un petit garçon à sa mère à l’occasion de la fête des Mères est bouleversante.
Puis les témoins parlent d’eux-mêmes : nous assistons à la projection d’un extrait du procès Barbie, en mai 1987. Nous remarquons ici la forte personnalité et le grand courage dont a fait preuve toute sa vie Sabine Zlatin, la directrice de la maison d’Izieu.
Nous descendons à pied les quelques kilomètres qui nous séparent de notre auberge. Nous essayons de nous détendre après cette visite éprouvante.
Nous mangeons dans le réfectoire puis profitons de notre temps libre avant la nuit. Balade dans le village, jeux de cartes avec les profs, et même, je le dis en bravant toute censure, la télé branchée sur M6, Nouvelle Star…
Le lendemain matin, nous retournons à pied à Izieu afin d’assister à la projection d’un court docu-fiction sur les enfants juifs sous le régime de Vichy.
Nous retraçons l’itinéraire des enfants d’Izieu dans les camps d’internements français. Les images d’archives nous montrent Gurs ou Rivesaltes, dans le Sud de la France, ces camps qui ont permis au gouvernement français d’interner les Juifs étrangers puis les Juifs de France.
Après plusieurs heures de conférence, nous déjeunons dans le jardin puis nous nous installons dans le car, en direction de Lyon. Arrivés dans la ville, nous visitons le Centre de la Résistance et de la Déportation. Ce musée regroupe énormément de documents d’archives autour du mouvement de résistance français, particulièrement actif dans la région de Lyon et du Vercors. Le centre possède également des images très impressionnantes de déportés filmés par les nazis dans des camps d’extermination.
La visite terminée, nous participons à un atelier sur les affiches de propagande pendant la guerre. Réunis par groupes, nous étudions puis présentons à la classe différentes affiches destinées aux Français : encouragement au Service du Travail Obligatoire et à la natalité, incitation à l’antisémitisme et à l’anticommunisme…
Cet atelier très enrichissant met fin à notre séjour qui se termine trop vite, mais qui nous a apporté beaucoup et dont nous nous souviendrons.