Les scrutins révèlent depuis plusieurs années l’émergence de puissants partis de droite extrême partout en Europe. Dans les pays de l’ancien bloc soviétique, Hongrie en tête avec le parti Jobbik, les partis d’extrême-droite recueillent près d’un quart des suffrages. Dans les pays de l’Europe du Nord, ces partis (le parti des vrais Finlandais, le Parti norvégien du progrès, le Parti du peuple danois et le Parti pour la Liberté du Hollandais Geert Wilders) pèsent désormais sur les politiques gouvernementales. Il en va de même en Suisse avec l’UDC de Christoph Blocher, en Autriche avec le FPÖ de Heinz-Christian Strache. En Italie, la Ligue du Nord est entrée au gouvernement et détient notamment le ministère de l’intérieur (Roberto Maroni). En France, nombreux sont ceux qui craignent une situation semblable à celle de 2002 aux prochaines élections présidentielles avec Marine Le Pen qui serait présente au second tour…
Le contexte actuel, celui de mutations profondes et souvent anxiogènes pour les peuples et les individus, permet de comprendre ces évolutions inquiétantes et la crise identitaire que traverse l’Europe. Contexte économique d’abord, avec la mondialisation et la libéralisation des échanges qui entraînent des changements importants dans la hiérarchie de la puissance des nations, avec le sentiment que l’Europe est la grande perdante de cette évolution. Contexte économique toujours, avec la crise économique, aggravée par l’effondrement financier de 2008, et la montée d’un fort taux de chômage partout en Europe, chômage qui touche entre 20% et 40% de la jeunesse européenne, et qui fait craindre aux classes moyennes leur déclassement, tandis que les classes populaires sont précarisées et appauvries depuis plus de vingt ans. Contexte social, avec la montée des inégalités et le délitement des solidarités, avec l’émergence de discours qui instaurent une ère du soupçon – chasse aux fraudeurs, dénonciations des assistés etc. Contexte technique et scientifique, avec de formidables progrès mais aussi de nouveaux dangers, avec l’arrivée d’Internet et l’interconnection du “village planétaire”, source d’échanges mais aussi de campagnes de dénigrements médiatiques aux dimensions jamais vues, ou encore les progrès médicaux qui posent des problèmes éthiques inédits. Contexte écologique avec la montée des périls climatiques, la pollution croissante des sols, de l’eau et de l’air, sans parler de l’enjeu énergétique ravivé par la catastrophe nucléaire de Fukushima. Contexte politique avec le sentiment de défiance, sinon de rejet, d’une partie des populations européennes face à une construction européenne jugée peu démocratique et face à leur classe politique, jugée incompétente et impuissante vis-à-vis de marchés financiers anonymes qui imposent des plans d’austérité dans toute l’Europe ; et peut-être plus grave encore avec le rejet croissant des discours de tolérance et d’ouverture à l’étranger, alors que l’ethnicisation des discours (nouvel avatar du racisme) empoisonne désormais les débats publics. Contexte démographique enfin, avec le vieillissement d’une population européenne qui se sent menacée par la montée en puissance de pays à la population jeune et dynamique, la Turquie, l’Inde, le Brésil pour n’en citer que trois.
Il nous faut souligner cette crise européenne, pour comprendre les origines de la poussée des droites extrêmes, des droites extrémistes qui se sont adaptées aux évolutions des sociétés européennes. Les pays de l’ancien bloc communiste où les mémoires et le travail historique ont été “gelés” pendant quarante ans, sont aux prises avec des partis d’extrême-droite dont l’idéologie et le programme ne sont pas sans évoquer les partis fascistes des années 30. Le parti hongrois Jobbik est à cet égard exemplaire, avec un nationalisme exacerbé, la formation de milices fascisantes, l’irrédentisme auprès des populations d’origine magyare vivant en Roumanie ou en Tchéquie, un antisémitisme exacerbé et un racisme anti-Rom violent. Les pays d’Europe de l’ouest voient l’émergence d’une nouvelle extrême droite qui prend ses distances par rapport à l’héritage fasciste et nazi des anciens partis d’extrême-droite qui poursuivent leur déclin. A cet égard, les partis de cette nouvelle extrême-droite défendent Israël, considéré comme un avant-poste occidental face à un monde musulman vu comme hostile, et ont officiellement rompu avec les traditionnels discours antisémites. Ces nouvelles extrême-droites européennes, le Parti pour la Liberté de Geert Wilders (Hollande), l’UDC de Christoph Blocher (Suisse), le FPÖ de Heinz-Christian Strache (Autriche), le Front National de Marine Le Pen notamment, défendent des programmes très divers, mais partagent un fort sentiment nationaliste, la xénophobie, le rejet de l’immigration et la limitation du droit d’asile, et un discours anti-musulmans exacerbé. Geert Wilders a ainsi déclaré en 2009 qu’il faut “extrader d’Europe (…) des millions, voire des dizaines de millions de musulmans”… Par ailleurs, la mutation idéologique de cette nouvelle extrême-droite brouille les lignes sociétales habituelles, ces partis affichant souvent des valeurs libérales sur le plan des mœurs, avec des discours en faveur du droit des femmes ou des homosexuels, et des valeurs écologistes.
Face à l’émergence de ces nouveaux partis d’extrême-droite, en particulier en Europe de l’ouest, les partis démocratiques traditionnels semblent pour le moment sur la défensive, pris en tenaille entre les contraintes de l’idéologie libérale et libre-échangiste de la construction européenne qui leur offrent peu de marge de manoeuvre en matière économique et financière, et les contradictions de cette même idéologie qui laisse le champ libre aux affirmations identitaires, avec la montée des revendications communautaires et régionalistes. C’est peut-être du côté d’une partie de la jeunesse européenne qu’il faut chercher des motifs d’espoirs. Cette jeunesse dont les indignés du sud de l’Europe ont donné récemment l’image, une jeunesse dont les enquêtes d’opinion révèle qu’elle est universaliste, tolérante, ouverte à la diversité des cultures, soucieuse des droits humains, et qu’elle pense les problèmes dans leurs véritables dimensions…la dimension européenne et mondiale.
Rose Lallier