Nous devons nous rendre à l’évidence. Encore une fois notre angélisme nous a fait prendre nos désirs pour des réalités. Nous avons voulu voir, espéré évidement, que les manifestations dans les principales villes d’Iran, de citoyens courageux et écœurés à la suite de l’énorme fraude électorale, marquaient le début d’un printemps iranien. Nous avons voulu croire que survenaient enfin les prémices de la chute de ce régime vieux de 30 ans sous les coups de boutoir d’une jeunesse avide de liberté et de modernité. Que les nouvelles générations impatientes et frustrées allaient enfin se débarrasser des vieux barbons… Las!
Vieux, ce régime l’est à coup sûr, mais il n’est pas que cela. Il est aussi un régime d’oppression de l’individu, oppression qui s’insinue dans sa vie quotidienne et jusque dans son esprit. Il traite aussi bien de sa façon – à il ou elle – de se vêtir, que de ce qu’il ou elle fait, exprime, lit, regarde, écoute, aime, prie, etc… L’individu y est constamment surveillé par une armée de gardiens des consciences autant que de la pureté de la révolution. Et ces gardiens sont partout. Le nouveau président “élu” ne s’est-il pas vanté de pouvoir mobiliser en une journée 7 millions de ses partisans?
Alors, que pèsent les manifestations de ceux à qui on a volé les voix, réprimées immédiatement dans le sang par des hordes de nervis à motos et matraques? Que pèsent les manifestants battus et arrêtés par centaines? Que pèsent les procès staliniens où les accusés se repentent d’avoir contesté les résultats du scrutin, et où ils sont accusés de collusion avec les pays occidentaux… Que pèsent ces photos (qui ont fait le tour du monde) du visage ensanglanté de la jeune Neda Agha-Soltan, assassinée froidement par balle par un milicien bassidj et qui est devenue l’icône de la révolte?
Rien. Vétilles. Il ne se passera rien. Le propre de ces dictatures est de ne jamais tenir compte de ces mouvements. Comment cette république islamique sur laquelle se fondaient les espoirs de millions de déshérités, et qui souhaitait devenir un modèle pour d’autres peuples, en est arrivée là? C’est que son président, lui-même issu des gardiens de la révolution, s’est accaparé tous les pouvoirs régaliens. Il a placé ses hommes aux postes clés, des idéologues à la tête de l’armée et regroupé les corps de milices, pour en faire sa propre police politique, … ses “sections d’assaut”. Fort de ses pasdarans embrigadés qui intimident la population, des gardiens des bonnes mœurs qui l’épient, et des milices armées bassidj qui quadrillent le pays, le régime a pu noyauter les bureaux de votes et transformer son échec en coup d’état. De nombreuses sources locales indiquent qu’en réalité, il ne serait arrivé que 3ème… Les autres candidats peuvent s’époumonner, les démocraties condamner, il ne se passera rien. La mollahcratie continuera, plus obscurantiste et conservatrice encore.
Cela ne pourrait être dramatique que pour le peuple iranien opprimé, mais ce régime est aussi une menace pour le reste du monde. Sa volonté délibérée d’obtenir l’arsenal nucléaire militaire sous couvert de recherche civile, son insistance suspecte à cacher depuis de nombreuses années aux observateurs de l’AIEA, ses avancées dans ce domaine, en disent très long. Comme en disent long les essais de tirs de missiles à longue portée. Comme en disent long également l’implantation de pasdarans en Erythrée permettant à l’Iran, en cas de crise, de fermer d’un seul coup la Mer Rouge et le Golfe Persique avec les conséquences d’approvisionnement en pétrole que l’on imagine.
Pendant l’élection hold-up qui détourne l’attention, les affaires nucléaires continuent. Ahmadinedjad continue à mener en bateau la communauté internationale. Dès qu’ il aura procédé à son premier essai atomique souterrain,-cela ne saurait tarder-, il deviendra aussitôt le champion d’un Islam chiite expansionniste qui entraînera les foules, y compris sunnites.
Dès lors, avec son levier nucléaire, rien ne saurait l’arrêter.
Laisser cet homme, qui menace ouvertement de rayer un Etat de la carte, détenir cette puissance, est proprement suicidaire.
Pourtant, à ce jour, seules de bien maigres sanctions sont appliquées. Aucune date butoir n’est imposée à l’Iran pour stopper sa course à l’enrichichissement d’uranium. Cela nous rappelle avec effroi la politique d’appeasment de Chamberlain, en d’autres temps…
La bonne volonté et la politique de la main tendue de Barack Obama ne sont-elles pas considérées comme des faiblesses? Sans doute, car rien ne vient répondre à cette offre de dialogue.
Où se situent les limites de la patience? L’Iran devrait se méfier des colombes déçues, elles peuvent se révéler de terribles faucons, et Obama nous réserver quelques surprises…
Maurice Benzaquen