
Voici 70 ans, des tirailleurs dits sénégalais rapatriés à Dakar étaient abattus par leurs frères d’armes! Ce massacre occulté, a cette année, bénéficié de commémorations pour ses 70 ans, mais surtout de l’engagement du président de la République au sommet de la Francophonie.
Les présidents sénégalais et français ont rendu un hommage commun sur les tombes des victimes de ce massacre. Le président Hollande a remis les archives françaises aux autorités sénégalaises. On peut s’interroger quant au contenu de ces archives puisque des historiens dont Armelle Mabon ont déjà travaillé sur des documents, ainsi que celles détenues par l’association Mémoire pour Thiaroye créée en 1998, après que des citoyens aient enfin pu voir en salle le film du regretté réalisateur Sembène Ousmane “le camp de Thiaroye”- film interdit sur les écrans français jusqu’à cette date. Ces archives sont elles les mêmes ou inédites ?
Ces tirailleurs ont été démobilisés car la France à la demande des Américains, blanchissait son armée. C’étaient d’anciens prisonniers de guerre rendus à la liberté par le succès de l’avance des troupes alliées.
Contrairement aux engagements qui voulaient que ces soldats touchent leurs pécules et leurs primes de désengagement sur le sol de la métropole, ils durent embarquer pour le Sénégal ….. Certains refusèrent l’embarquement. Ils seront détenus au camp de Morlaix dans des conditions qui scandaliseront la population civile et les gendarmes. Par la suite, ces hommes transférés vers Trévé dans les Côtes d’Armor verront même, le 11 novembre, des gendarmes leur tirer dessus! Ils resteront à Trévé jusqu’aux 18 janvier avant leur transfert à Guingamp.
Ceux qui ont embarqué sur le Circasia vont connaître un périple qui les conduira en Angleterre puis à Casablanca où d’abord débarqués ils seront à nouveau rembarqués, sauf 400 d’entre eux qui refuseront un nouvel embarquement. Le 21 novembre ce sont près de 1300 tirailleurs qui débarquent à Dakar avant d’être immédiatement conduits à la caserne de Thiaroye. Là, ils sont répartis suivant leur territoire d’origine. 500 d’entre eux en partance pour Bamako refusent de prendre le train. Le général Dagnan entame les palabres avec les tirailleurs. Ayant regagné l’état-major, l’officier parle de détachement en état de rébellion, de rétablir la discipline et l’obéissance autrement qu’avec des discours et que les revendications des tirailleurs ne sont que des prétextes à l’insubordination. Il met donc sur pied une démonstration de force. Le général de Boisboissel commandant supérieur, donne son accord pour cette intervention qui a donc lieu le 1er décembre. La troupe prend position et ouvre le feu sur les tirailleurs.
Bilan officiel: 24 tués, 11 décèdent des suites de leurs blessures, 35 blessés et 45 mutins emprisonnés. Du côté des forces armées, on déplore un blessé et 3 officiers contusionnés.
Mais le chiffre des tués est sujet à caution, alors combien de morts? Les chiffres varient: 25, 35, 70 (dans le rapport du général Dagnan le 5 décembre 1944) … 100, 200 voire plus?
Reste que l’armée n’entend pas en rester là. Pour se justifier elle présente ces combattants comme des “désaxés” après 4 longues années de captivités, d’avoir été gagnés par le dénigrement de l’armée française et de ses cadres par la propagande nationaliste allemande. Elle avance, dans son rapport, d’autres raisons dignes “d’un apartheid colonial” et raciste pour justifier les raisons de cette mutinerie (solde, avancement trop rapide, manque d’intelligence et de discernement, vin, fréquentation de femmes blanches, métissage …). 34 “meneurs” sont jugés le 6 mars 1945. La loi d’amnistie générale adoptée par l’assemblée constituante d’avril 1946 sera, à la demande de Senghor, accordée aux territoires de l’AOF en novembre 1946, sans pour autant que les hommes de Thiaroye puissent en bénéficier suite à l’avis défavorable des autorités militaires. Les pressions des politiciens noirs et le départ du général de Boisboissel à la retraite aboutiront à la grâce des mutinés ainsi qu’à la libération des 18 derniers tirailleurs détenus par le président Vincent Auriol, en juin 1947 …. Aucune des veuves de Thiaroye ne percevra de pension.
Bien des zones d’ombre demeurent. De même, il serait temps que notre pays s’intéresse au sort des soldats coloniaux de notre armée, à leur vie de prisonniers sur le sol de la métropole et qui furent pour beaucoup, gardés par des gendarmes français après l’ouverture du front à l’Est, voire même par des officiers français eux-mêmes prisonniers de guerre. Ces coloniaux vivaient dans des conditions dramatiques et furent “réquisitionnés” pour différents travaux : terrassement, travaux agricoles, exploitation de la forêt, participation au mur de l’Atlantique.
Dans les Landes, on parlait de 4 ou 5 camps. Les dernières recherches réalisées par François Campa professeur d’histoire-géographie à la retraite et membre de l’AERI 40, parlent de 36 camps. Après le départ des Allemands ils participeront aux combats du Médoc et de la poche de Royan ou seront à leur tour gardiens de prisonniers allemands et ne rentreront, pour beaucoup, qu’après le 8 mai 1945.
La mémoire collective des communes fluctue entre reconnaissance immédiate, tardive, refus d’ouverture des archives et occultation. Mais il existe aussi un travail actuel de mémoire suite à des découvertes de vestiges de camps après le passage de tempête (comme Klaus en 2009). Pour ma part, suite à des recherches personnelles, j’étais arrivé au chiffre de 21 camps dans les Landes.
Alors quand, dans notre pays, aurons nous la volonté de rendre à ces hommes la dignité qu’on leur a confisquée par le silence, et qui semble un peu vaciller en cette 70ème commémoration ?
Patrick Grocq