On a vite fait de faire des comparaisons entre notre système judiciaire qui reposerait sur le respect de la dignité de la personne humaine à cause de la présomption d’innocence, et celui des Américains qui serait fondé sur le respect de la liberté et de l’égalité.
Laissons aux juristes le soin d’en discuter et ils ne s’en privent pas à la faveur de l’actualité chaude de ce mois de mai. Reconnaissons aux médias le droit et même le devoir d’informer l’opinion en utilisant tous les moyens de communication de notre temps.
Au delà du spectacle médiatique auquel il nous a été donné d’assister en direct, chacun se forge sa conviction au fur et à mesure que lui parviennent les informations et nul ne méconnaît qu’il faille attendre que la justice se prononce.
Mais force est de reconnaître que même en France la mise en examen est équivalente à une présomption de culpabilité puisque la défense ne peut rien dire ni rien faire pour la contester sur le champ.
On nous promet un renforcement des droits de la défense, mais en attendant, nous ne pouvons constater, quels que soient les termes employés et le rappel constant qui procède plus de la foi que de la raison, du principe de la présomption d’innocence, de réel progrès ou d’une avance de notre système par rapport aux autres.
De quelque côté de l’océan que l’on se trouve, dès lors qu’on fait l’objet d’une enquête préliminaire à l’initiative du Parquet ou d’une Commission rogatoire d’un juge d’instruction, on se voit emporté dans une spirale infernale. Tous les pouvoirs appartiennent en l’état au Juge d’instruction et (demain, nous dit-on) aux Procureurs, sous le contrôle du Juge des libertés et de la détention (JLD).
En attendant, la garde à vue et les perquisitions, la mise sur écoute et le contrôle judiciaire peuvent sérieusement restreindre la liberté de mouvement de tout un chacun. Chacune des mesures est procéduralement soumise à des contrôles et à des voies de recours ; mais en at-tendant qu’ils ou elles soient mises en œuvre, les restrictions et l’opprobre qui s’y attachent demeurent.
La présence d’un avocat désormais impérative lors de la garde à vue n’efface pas la contrainte qu’elle représente; alors qu’on ne devrait pouvoir y soumettre quiconque sans détenir à son encontre les indices matériels précis et susceptibles de preuves qui en établissent la probabilité.
Or, l’expérience montre le contraire : il suffit qu’un juge ou un procureur acquière la conviction que la personne a pu commettre l’infraction qu’il a en charge d’établir, pour qu’il décide de sa mise en garde à vue et que tout le reste s’en suive. C’est à ce stade que l’égalité des armes dans le procès est rompue.
Tant qu’on n’aura pas exigé davantage pour la mise en œuvre d’une telle mesure, on n’aura pas éradiqué l’abus de pouvoir et l’arbitraire. Ce n’est pas l’accumulation des présomptions hypocrites qui ne trompent personne, l’interdiction de la représentation à l’image, des mesu-res de contraintes ni même la présence de l’avocat auquel d’ailleurs pour l’instant on refuse la moindre information préalable sur les soupçons entretenus à l’encontre de la personne placée en garde à vue, qui apporteront une garantie quelconque au respect de la dignité de la personne.
C’est l’humilité de l’autorité poursuivante qui ne doit pas pouvoir soumettre un citoyen à toutes ces avanies sur la foi d’une simple plainte voire, pire, d’une dénonciation ou d’une présomption qu’il convient d’appeler par son nom, sans détenir un début de preuve de la commission d’une infraction.
Les citoyens ne seront à l’abri de tel-les mesures arbitraires préalables que si les juges qui y recourent sans disposer des éléments pour le faire ou qui prennent le risque de le faire par erreur savent qu’ils seront sanctionnés pour l’avoir fait.
On dirait que l’affaire d’Outreau n’a servi à rien. Ce n’est pas une réforme du Code de procédure pénale qu’elle appelait, c’est un changement de culture.
Fasse que le choc des images de New-York produise les effets que la commission n’a pas engendrés.
Bernard Jouanneau