Une tombe au creux des nuages
Essais sur l’Europe d’hier et d’aujourd’hui
Georges Semprun (Climats)
Une vie comme un roman, traversée par les passions du siècle. Dirigeant du Parti communiste espagnol clandestin, ministre de la Culture vingt ans plus tard dans l’Espagne démocratique, militant de l’Europe aujourd’hui. Des années 40 à la chute du communisme, la réunification allemande et la construction européenne, le livre se présente comme le témoignage d’un intellectuel européen, et comme le “laboratoire intellectuel” de notre avenir commun. Jorge Semprun y rassemble des conférences prononcées en allemand et en Allemagne dans ces vingt dernières années, à Vienne, Weimar, Buchenwald…, comme à Jérusalem et à Paris.
Mon rapport avec l’Allemagne, avec l’histoire et la culture allemande, est ancien, il est complexe, il est multiple et sans doute fécond dans ma trajectoire d’écrivain, dans ma morale et ma formation intellectuelle, écrit-il, se présentant comme une sorte de “schizophrène” bilingue, amoureux des écrivains d’avant le désastre, les Musil, Thomas Mann, Heine…., profitant de ses dernières minutes à Buchenwald pour prendre congé de l’arbre centenaire de Goethe que le “raffinement culturel” des cadres SS avait conservé à l’intérieur du camp “entre le crématoire et le magasin général”. Lorsqu’on lui demande qui il est vraiment, Français ou Espagnol, écrivain ou homme politique, il a envie de répondre ex-déporté de Buchenwald.
La réunification doit permettre à l’Allemagne d’aujourd’hui de devenir un facteur de stabilité en Europe, cette Europe qui n’est rien d’autre que le résultat de longs siècles d’affrontements et de brassages, d’invasions et de résistance, et que deux systèmes totalitaires ont dominé le siècle dernier. On oublie parfois que le camp de Buchenwald a aussi été, à sa libération, un camp de concentration soviétique et que s’y retrouvent dans des fosses communes des milliers de morts, reposant “dans l’interminable inquiétude d’une mort anonyme”. Toutefois, pour structurer “moralement le paysage de la mort violente au XXème siècle”, il faudrait nuancer les comparaisons. Et face à l’Europe démocratique, comment ne pas se méfier aujourd’hui des sociétés à visée totalitaire, qui veulent un homme à leur image, et où tout “déviant” est traité en ennemi? Il est urgent de réévaluer le sens et les objectifs des valeurs de notre siècle. C’est ce que le militant, écrivain, ministre, exprime lorsqu’il préconise le principe d’un “laboratoire intellectuel” de notre avenir commun.
Le titre? Il est emprunté à un poème de Paul Celan. Les poètes savent mieux que personne décrire les catastrophes que produit la barbarie, et les perpétuer dans notre mémoire : alors vous montez en fumée dans les airs / alors vous avez une tombe au creux des nuages / on n’y est pas couché à l’étroit.
Colette Gutman