La polémique lancée par Eric Raoult à propos des déclarations de Marie N’Diaye serait juste absurde si elle n’était pas profondément malsaine.
Absurde en effet ce prétendu « devoir de réserve » qui devrait s’appliquer aux écrivains récompensés par le prix Goncourt : ce devoir là ne s’impose qu’à certains fonctionnaires, les « fonctionnaires d’autorité » à qui il est légitimement demandé de ne pas tenir de critiques publiques vis-à-vis des décisions prises par le gouvernement. Mais en quoi un prix littéraire aurait-il vocation à brider la liberté de parole de l’écrivain, liberté fondamentale de tout citoyen, constitutive de l’activité artistique elle-même ? A cette interrogation, le député de Seine Saint-Denis ne répond pas. Ou plutôt, il préfère probablement ne pas répondre. C’est là où la polémique devient malsaine.
Malsain de lire qu’en la lançant Eric Raoult a tout simplement voulu « faire parler de lui » : comme si dans la France contemporaine, détourner ainsi les questions de liberté pouvait parfaire la renommée des hommes politiques. Comme si la liberté de parole des écrivains n’était pas dans le cours de l’histoire, et encore aujourd’hui dans de nombreux pays, au cœur du combat pour la démocratie. Je pense ici à Taslima Nasreen, que Paris s’enorgueillit d’avoir accueilli, estimant, oui, que c’était là le « devoir » de la capitale de la France.
Malsain encore, d’entendre qu’il s’agirait de donner des gages à un certain électorat à la veille des élections régionales, comme si le jeu politique devait inévitablement conduire au piétinement de certaines valeurs.
Malsaine surtout, l’exégèse douteuse à laquelle se livre Monsieur Raoult dans le Monde de samedi, ne regrettant rien de ses propos et affirmant même que, par comparaison, Yannick Noah et Lilian Thuram n’étaient pas allés aussi loin dans la critique de la France. Yannick Noah et Lilian Thuram ? Sa critique initiale ne portait donc pas exclusivement sur la liberté de parole des écrivains ? Un footballeur, un tennisman, un Prix Goncourt : serait-ce donc la couleur de leur peau qui inspirerait ce « rappel à l’ordre », pas vraiment « républicain » ?
Sentiment de dégoût. Envie de demander à une certaine droite qu’on arrête là. A l’heure où un ministre ressent le besoin urgent de lancer un débat sur l’identité nationale, un député de la même majorité suggère que certains Français seraient avisés de se taire. Peut-être parce que leur « identité » déplaît.
Cette conception là de la France n’est pas la mienne. Si prompte à distinguer ceux qui la composent, à stigmatiser les différences, à jouer des uns contre les autres, à arrêter une version officielle, et à discréditer ceux qui refusent de la réciter.
Indifférence du gouvernement… Absurde et malsain.