
Mardi 14 janvier 2025, nous avons accueilli 98 élèves et 8 accompagnateurs (3 classes de 3ème et une classe de SEGPA) au cinéma Les 3 Luxembourg.

Notre intervenante, Nathalie Azoulai, est une femme de lettres française, lauréate du prix Médicis en 2015, son dernier roman est « Toutes les vies de Théo » paru aux éditions P.O.L. Elle restitue le contexte du tournage :
Nathalie Azoulai : le film a été tourné en 1939 juste après la déclaration de guerre. Pourquoi à votre avis a-t-il voulu créer ce film ?
Un élève : à cause de la ressemblance physique (moustaches, taille) avec Hitler.
Nathalie Azoulai : oui, peut-être, mais peut-être aussi voulait-il ridiculiser le dictateur. La fin est émouvante mais totalement utopique ; s’il avait su ce qui allait se passer il n’aurait pas fait ce film. Dans sa bibliographie il écrit qu’il regrette d’avoir représenté Hitler en clown. L’accueil du film en 1940 aux États-Unis, en 1945 en France est mitigé jusqu’en 1960.
Connaissez-vous d’autres films de Charlot ?
Des élèves : Les temps modernes ; The kid ; La ruée vers l’or
Nathalie Azoulai : ces films ont précédé le dictateur qui est le premier film parlant (ce sera son dernier film dans le personnage de Charlot). Il a alors 51 ans, sa carrière commence à diminuer et comme l’Amérique est muette devant le nazisme, il ira se réfugier en Suisse en1952, les Américains lui ayant refusé le visa avant. Avez-vous repéré le titre original ?
Un(e) élève : The great dictator
Nathalie Azoulai : oui le « super » dictateur ; une sorte de bouffon. Que pensez-vous des paroles ?
Un(e) élève : Mélange de langues : anglais, allemand – il commence à parler en allemand puis on ne comprend plus rien
Nathalie Azoulai : Les paroles sont très importantes même si la plupart du temps il s’agit d’onomatopées qui ne veulent rien dire mais qui reprennent le rythme de parole d’Hitler. Il est important aussi de comprendre les noms des personnages et des pays : Le nom de Hitler, Adénaïde Inkel veut dire végétation, adénoïde que l’on a dans le nez et Inkel qui sonne comme un nom juif et veut dire boiter (…) Les discours sont complètement contradictoires et incompréhensibles, c’est un mélange d’Allemand et d’Anglais, on entend Juden Stink (les juifs sentent mauvais ), les noms des pays Tomania, Mussolini est appelé Bacteria (qui donne des maladies)…Avez- vous vu l’insigne du régime ?
Un(e) élève : c’est une double croix noire qui ressemble à la croix gammée.
Nathalie Azoulai : c’est un insigne qui, en Angleterre, symbolise la trahison. Le film met deux ans à être tourné (il est tourné en secret), et Charlot reçoit des menaces de mort. Pensez-vous que Charlot est juif ? (quelques mains se lèvent)
Charlot n’est pas juif, il dit qu’il n’y a pas besoin d’être juif pour dénoncer le nazisme.
Un(e) élève : le grand discours de la fin est très émouvant. On rit pendant tout le film parce que le barbier fait toujours des gaffes et à la fin quand on il fait son discours, il est très sérieux et il vante les valeurs de la démocratie et dénonce la brutalité et la violence et l’oppression des dictatures.
Nathalie Azoulai : que s’est-il passé en 1938 ?
Un(e) élève : l’annexion de l’Autriche
NA : Ce discours écrit par Chaplin en 1938, c’est un beau discours mais qui ne reflète pas l’horreur de ce qui s’est passé par la suite.
Des élèves :
- À un moment la police laisse Hannah tranquille parce qu’elle a changé d’apparence
- On la laisse partir parce qu’elle est protégée par le pilote.
- Et parce que c’est la période où Hitler fait semblant d’aimer les juifs pour avoir de l’argent du banquier.
- Pourquoi les banquiers sont juifs ?
Nathalie Azoulai : dès le Moyen Âge, l’un des rares métiers que les juifs pouvaient faire était de prêter de l’argent. Dans le film, tous les autres banquiers aryens ou industriels ont refusé de prêter de l’argent. Le fait que tous les juifs sont banquiers et riches est un a priori, un préjugé, il y a énormément de juifs à cette époque qui sont extrêmement pauvres. (…) Avez-vous le sentiment d’avoir vu un vieux film ?
Des élèves :
- Oui parce que c’est en noir et blanc
- Oui par la présence de Charlie Chaplin
- Non, c’est un film actuel avec paroles et musique
- Non, c’est un sujet actuel, le message est simple à comprendre, c’est un film intemporel
- On sait que ça pourrait recommencer
Comme à chaque séance, les élèves ont applaudi et remercié et nous encouragent ainsi à continuer notre action qui par ce sujet est complètement d’actualité. Nous joignons à ce compte-rendu l’écriture du discours final.
Marie Le Coeur et Arlette Weber
Message d’espoir à Hannah, au cas où elle l’entendrait :
« Je suis désolé, mais je ne veux pas être un empereur. Ce n’est pas mon affaire. Je ne veux gouverner ou conquérir personne. Je voudrais aider tout le monde si possible. Nous voulons tous nous entraider, les êtres humains sont comme ça. Nous voulons vivre du bonheur de l’autre. Pas par la misère de l’autre. Nous ne voulons pas nous haïr et nous mépriser. Et ce monde a de la place pour tout le monde, et la bonne Terre est riche et peut subvenir aux besoins de tout le monde. Le mode de vie peut être libre et beau, mais nous avons perdu le chemin. L’avidité a empoisonné l’âme des hommes, a barricadé le monde avec la haine, nous a fait plonger dans la misère et l’effusion de sang. Nous avons développé la vitesse, mais nous nous sommes enfermés. Les machines qui nous donnent l’abondance nous ont laissés dans le besoin. Notre connaissance nous a rendus cyniques. Notre intelligence, durs et méchants. Nous pensons trop et ressentons trop peu. Plus que des machines, nous avons besoin d’humanité. Plus que de l’intelligence, nous avons besoin de gentillesse et de douceur. Sans ces qualités, la vie sera violente et tout sera perdu. L’avion et la radio nous ont rapprochés. La nature même de ces inventions réclame la bonté des hommes, réclame la fraternité universelle, l’unité de nous tous. En ce moment même, ma voix atteint des millions de personnes à travers le monde – des millions d’hommes, de femmes et de petits enfants désespérés – victimes d’un système qui fait que les hommes torturent et emprisonnent des innocents. A ceux qui peuvent m’entendre, je dis : ne désespérez pas. La misère qui est maintenant sur nous n’est que le passage de l’avidité – l’amertume des hommes qui craignent la voie du progrès humain. La haine des hommes passera et les dictateurs mourront, et le pouvoir qu’ils ont pris au peuple reviendra au peuple. Et tant que les hommes mourront, la liberté ne périra jamais. …
Soldats ! ne vous livrez pas à des brutes, des hommes qui vous méprisent, vous asservissent, qui régissent votre vie, vous disent quoi faire, quoi penser et quoi ressentir ! Qui vous éduquent, vous nourrissent, vous traitent comme du bétail, vous utilisent comme de la chair à canon. Ne vous donnez pas à ces hommes contre nature – des hommes-machines avec des esprits et des cœurs de machine ! Vous n’êtes pas des machines ! Vous n’êtes pas du bétail ! Vous êtes des hommes ! Vous avez l’amour de l’humanité dans vos cœurs ! Vous ne détestez pas ! Seuls les mal-aimés haïssent – les mal-aimés et les contre-nature !
Soldats ! Ne vous battez pas pour l’esclavage ! Battez-vous pour la liberté ! Au chapitre 17 de Saint Luc, il est écrit : « le Royaume de Dieu est dans l’homme » — non pas un homme ni un groupe d’hommes, mais dans tous les hommes ! En vous ! Vous, le peuple, avez le pouvoir, le pouvoir de créer des machines. Le pouvoir de créer du bonheur ! Vous, le peuple, avez le pouvoir de rendre cette vie libre et belle, de faire de cette vie une merveilleuse aventure. Alors, au nom de la démocratie, utilisons ce pouvoir, unissons-nous tous. Luttons pour un monde nouveau, un monde décent qui donne aux hommes une chance de travailler, qui donne un avenir à la jeunesse et une sécurité à la vieillesse. Par la promesse de ces choses, des brutes ont accédé au pouvoir. Mais ils mentent ! Ils ne remplissent pas cette promesse. Ils ne le feront jamais ! Les dictateurs se libèrent mais ils asservissent le peuple ! Maintenant, battons-nous pour tenir cette promesse ! Luttons pour libérer le monde, pour éliminer les barrières nationales, pour éliminer la cupidité, la haine et l’intolérance. Luttons pour un monde de raison, un monde où la science et le progrès feront le bonheur de tous les hommes.
Soldats ! Au nom de la démocratie, unissons-nous tous ! »
Le Dictateur, Charlie Chaplin
