
Film : Hors Normes d’Eric Toledano et Olivier Nakache
Thème : le handicap
Lundi 6 novembre a eu lieu notre 1ère projection de l’année 2023/24, dans le contexte tragique de l’actualité en Israël et à Gaza, des attentats dirigés contre ceux qui transmettent le savoir (commémoration des attentats contre Samuel Paty et Dominique Bernard). Il s’agissait également du premier jour de la reprise des classes après les congés de Toussaint et avec des problèmes climatiques.
Mais notre inquiétude a été rapidement désamorcée par l’arrivée de toutes les classes prévues :
- 1 classe de 5ème du Collège Audin Vitry sur Seine
- 1 classe de 4ème du Collège Audin Vitry sur Seine
- 1 classe terminale du Lycée Pablo Picasso, Fontenay / Bois
- 1 classe seconde du Lycée Gabriel Péri, Champigny/ Marne
- 1 classe terminale Lycée Abbé Grégoire, Paris
- 1 classe terminale du Lycée Darius Milhau Le Kremlin
Le film a été très bien accueilli par les élèves (rires dans les moments drôles quelquefois dans les moments émouvants, applaudissements à la fin du film).

Les intervenants Daoud Tatou (Le relais Ile de France) et Stéphane Benhamou (Association Le silence des Justes) ont répondu patiemment et pédagogiquement aux questions des élèves (beaucoup plus de prises de parole des collégiens-nes que des lycéens.ennes).
Les questions concernaient essentiellement les deux structures et le travail réalisé en coopération :
- Pourquoi avoir décidé de faire ces associations ? comment avez-vous fait pour vous rencontrer et travailler ensemble ?
Stéphane Benhamou : Dans les années 1990 j’organisais des colonies de vacances pour les enfants qui ne partaient pas et j’ai reçu un jeune autiste (Johan à qui le film est dédié) qui m’a fait découvrir ce type de handicap et j’ai eu envie d’intégrer d’autres jeunes avec autisme dans ces colonies mais cela me demandait davantage de personnel.
Daoud Tatou : Dans la même période j’avais déjà créé un lieu d’accueil pour jeunes gens porteurs de ce handicap (nos activités étaient tournées vers la danse et la musique) et je proposais à des jeunes de quartiers difficiles, souvent en décrochage scolaire et en rejet de la société une formation d’éducateurs pour aider ces cas complexes qui avaient besoin de beaucoup de soutien.
Stéphane Benhamou : Notre rencontre a été très positive autant sur le plan professionnel que sur le plan humain (nous nous sommes trouvés beaucoup de points communs : le foot, la cuisine, l’optimisme et la volonté de réussir quitte à prendre des risques). À deux on est plus forts. On ne supportait pas de voire ces jeunes enfermés et mis sous médicaments.
- Comment avez-vous réussi alors que le milieu médical n’y arrivait pas ?
Daoud Tatou : Grâce à nos jeunes éducateurs suffisamment nombreux pour que face à chaque enfant jeune ou adulte porteur de handicap il y ait un éducateur. Le 1 pour 1 est très important en cela le milieu médical qui dispose d’équipe ne pouvait pas égaler notre façon de travailler.
- Vous dites que vous avez pris des risques… lesquels ?
Stéphane Benhamou : Au départ les risques étaient d’ordre politique… on a gêné des gens qui ne comprenaient pas nos stratégies bienveillantes
Daoud Tatou : Les risques étaient aussi financiers. Au départ nous avons fonctionné avec nos propres revenus, puis nous avons eu une participation des CESU. À partir de 2004 la mairie de Paris puis l’Île-de-France ont subventionné nos structures ce qui nous a permis d’avoir des locaux communs. En 2007 un budget de l’État nous a permis de créer un véritable budget de financement : nous avons aujourd’hui dans notre équipe des médecins et des psychologues.
- Quels âges ont les personnes que vous accueillez ? Sont-ils internes ? Devez-vous en refuser ?
Stéphane Benhamou : Nous avons des autistes de tous les âges : les plus jeunes ont 3 ans et nous avons des adultes qui ont grandi chez nous et qui peuvent rester autant que cela est nécessaire, ce qui rassure les parents qui s’inquiètent de l’avenir.
Il y a des externes (9h/16h) pendant que les parents travaillent et il y a des jeunes qui viennent le WE pour permettre aux familles de « souffler » et il y en a qui ont un projet scolaire et qui intègrent des classes dans la journée mais qui reviennent le soir dans la structure.
On a beaucoup de demandes mais on répond toujours quand le caractère est urgent et analysé ; sinon on envoie ailleurs on trouve très souvent des solutions.
- Comment les gens réagissent-ils en cas de problème dans la rue ou quand les jeunes retournent chez eux ou à l’hôpital ?
Il y a toutes les formes de réaction auxquelles on peut s’attendre : gène – entraide – peur – appels au secours…
- Comment faites-vous quand un jeune fugue ou quand il tape un éducateur ? Y a-t-il des punitions ? Est-ce qu’ils ont le droit de fumer ?
Stéphane Benhamou : Cela fait complètement partie de notre travail : si un jeune fugue il faut que l’on comprenne pourquoi, mais si ils sont bien… cela arrive très rarement.
Si un enfant ou un jeune est violent, on va l’amener à comprendre ce qui le dérange et mettre une règle pour que cela ne se reproduise plus.
Les punitions ne sont généralement peu efficaces et cela a encore moins de sens pour eux, on travaille toujours sur la compréhension du problème.
Ils peuvent fumer, ils ont la possibilité de choix, notre rôle est de les rendre autonomes petit à petit.
Daoud Tatou : C’est à cela que nous formons nos éducateurs pendant 2 ans sans bac et 3 ans après bac pour être éducateur spécialisé ; à 16 ans vous pouvez passer le BAFA et avec une petite formation, accompagner un enfant autiste dans une colonie de vacances classique.
- Une enseignante : Depuis 7 ans vous accueillez nos élèves en stage et grâce à vous ils sont devenus éducateurs alors qu’ils étaient en décrochage scolaire. Merci beaucoup pour votre travail !
- Est-ce que vous avez déjà eu des conflits ? qu’est ce que ce métier vous apporte ? Avez-vous eu envie d’abandonner ?
Daoud Tatou : Non jamais nous nous entendons très bien et nous savons ce que nous faisons, nous avons les mêmes objectifs !
Stéphane Benhamou : Plus de travail et moins de sommeil mais jamais de regrets. Nous voyons notre travail évoluer avec des éducateurs qui font très bien leur métier ; nous commençons à réussir une inclusion dans les écoles, les collèges avec les professeurs. Nous sommes optimistes cela continuera dans le monde de demain. Aider les autres c’est la meilleure des vies.
Viennent ensuite des questions à propos du film
- Comment avez-vous fait pour faire ce film avec ces 2 grands réalisateurs ? Est-ce que cela a été difficile ? qu’est ce que cela vous a apporté ?
Daoud Tatou : Au départ Olivier Nakache et Éric Toledano n’étaient pas connus. Ils ont tourné un documentaire « Et si on en faisait un film », puis ils ont tourné « Les intouchables » qui s’inspire un peu de notre travail, puis cela a été « Hors normes ».
Les éducateurs et les jeunes avec autisme jouent leur propre rôle, il y a eu un grand respect de la part de l’équipe. Stéphane et moi avons beaucoup travaillé avec les 2 acteurs principaux, Vincent Cassel et Reda Kateb pour les aider à « rentrer » dans nos personnages, mais pour autant nous n’avons pas cessé nos activités dans nos associations, il faut toujours être disponible.
Ce film a permis une prise de conscience et un débat sur ces cas complexes : « Que faire de ces enfants de la République ? » : l’autisme grave impacte les familles et la Nation.
À l’issue de la séance de nombreux élèves ont été se présenter et poser encore d’autres questions à nos 2 intervenants ; nombreux sont sortis avec l’idée de faire cette formation. Même si nous ne touchons qu’un petit nombre d’élèves cela nous renforce dans nos objectifs d’autant plus qu’une élève de 5ème a conclu en disant
« C’est un film qu’on n’a pas l’habitude de voir par nous-mêmes et vous nous avez permis de le voir ! Cela nous laissera des traces. »
Arlette Weber
