L’accord UE-Turquie sur les réfugiés : l’accord de la honte

Par l’accord conclu le 18 mars 2016 entre les 28 membres de l’Union Européenne et la Turquie, on s’est efforcé de sauver l’accord bilatéral conclu clandestinement entre Angela Merkel et le premier ministre turc Ahmet Davutoglu.
Mais on n’a pas pour autant sauvé l’honneur, on s’est défaussé du problème des migrants sur les Turcs à qui l’on a promis la lune et sur les Grecs dont on sait qu’ils ne pourront pas faire face aux demandes d’asile dont ils seront saisis. On sait d’avance que c’est contraire à la convention de sauvegarde européenne, mais on se dit que d’ici que la cour de Strasbourg le reconnaisse, l’eau aura coulé sous les ponts et notre honneur avec…

C’est bien l’accord de la honte.

On croyait vendredi dernier 18 mars avoir touché le fond  on s’aperçoit que l’accord de la honte est impossible à mettre en oeuvre.

Dans sa chronique à Libération du 19 mars, Jean QUATREMER dénonce cet « accord de la honte » : « Les chefs d’Etat européens n’ont absolument rien trouvé à redire à ce que l’UE renonce temporairement ou définitivement au droit d’asile ».

Depuis dimanche soir 20 mars, un nouveau rideau de fer s’est abattu sur l’Europe… L’Union, comme le souhaitaient les Etats de l’Europe de l’est devient une forteresse fermée aux migrants économiques et aux réfugiés priés de rester près du pays qu’ils fuient. Le couple Franco-allemand a sombré… La Turquie, au prix de son nouveau rôle de garde frontières, obtient un blanc seing et les Européens de l’Union ont abandonné au premier grain les principes fondateurs.

Les Turcs eux-mêmes critiquent cet accord.

Selon le parti démocratique des peuples kurdes et de gauche…

« Cet accord est contraire à la charte des droits fondamentaux de l’Europe qui ne respecte ni ses propres valeurs ni ses propres règles. Il s’agit d’un marchandage sur le dos des réfugiés… »

Les diplomates européens ne se font pas d’illusions.

Ils s’attendent à des recours auprès des cours de Strasbourg et du Luxembourg, mais le temps que ces juridictions se prononcent (entre deux et cinq ans), on aura eu l’effet escompté…

Si personne n’est très fier de cet accord, c’est aussi en raison des gros doutes sur sa mise en oeuvre, car tout repose sur la Grèce, sur un Etat désargenté et sur une administration défaillante. Pour que les renvois puissent commencer, il va falloir recruter dans l’urgence des juges, des traducteurs et des interprètes (jusqu’à 4000 personnes) pour un coût de 300 millions d’euros pour une période de six mois…

A supposer que l’accord puisse être mis en oeuvre…

« On n’aura pas pour autant sauvé l’honneur. On se sera défaussé du problème des migrants sur les Turcs, à qui l’on a promis la lune et sur les Grecs dont on sait qu’ils ne pourront pas faire face aux demandes d’asile ».

Dès son entrée en vigueur, l’accord donne lieu à des difficultés.

Les migrants déjà arrivés à Lesbos et qui se heurtent à la frontière macédonienne ne vont pas accepter de retourner en Turquie, alors qu’ils ont risqué leur vie pour traverser la Méditerranée,  ils ne vont pas non plus accepter de demander l’asile à la Grèce où ils ne veulent pas rester.

HUMAN RIGHTS WATCH a déjà recensé plusieurs cas de mauvais traitements par les Turcs et de refoulement de Syriens ou d’Afghans.

MEDIAPART a dénoncé le 22 mars les modalités de l’application de l’accord.

L’Europe vient de jeter par dessus bord les valeurs d’hospitalité et de respect des droits de l’homme sur lesquels elle s’est construite après la seconde guerre mondiale. L’accord conclu le 18 mars à Bruxelles nie fondamentalement tous les principes inscrits dans la convention de Genève de 1951.

Dès le lundi 21 mars, malgré la forfaiture européenne, pas moins de 1662 exilés ont rallié les îles grecques par leurs propres moyens et ont été dirigés vers des centres de rétention en attente de leur expulsion en Turquie. Afin de garantir une respectabilité de façade, les Etats membres ont renoncé à refouler les nouveaux arrivants avant de leur laisser la possibilité de déposer une demande qui sera d’emblée déclarée irrecevable, au prétexte que la Turquie d’où ils viennent doit être considérée comme un “pays sûr »…

« En échange de 6 Milliards d’euros, les pays de l’UE donnent ainsi les clés à la Turquie en raison  de leur incapacité à gérer cet exode. En l’absence de courage politique, les égoïsmes nationaux, comme lors des périodes les plus rétrogrades, l’ont emportés…

« La Turquie qui héberge déjà près de trois millions de réfugiés n’a peut être pas de leçons à recevoir, mais cet Etat qui s’attaque à sa minorité kurde ainsi qu’aux libertés publiques n’est pas le mieux placé pour gérer au nom de l’Europe, sa politique migratoire.” (Mediapart du 22 mars)

Le HCR ainsi que MSF et le haut commissaire de l’ONU aux droits de l’homme ont déclaré qu’elles refuseraient de prêter leur concours à cet abandon honteux.

Une semaine après l’entrée en vigueur de « l’accord de la honte », il s’installe sur l’île de Lesbos une discrimination entre les « Before20 » et les « After20 ». 

En vertu de cette ségrégation, les 2390 migrants présents sur l’île de Lesbos se répartissent entre les deux statuts. Les « Before20 » ont le droit de rêver à l’Europe de l’ouest et du nord, pour les « After20 » le rêve s’est brisé et la détention rend leur malheur invisible.

On aura compris que cette date fatidique du 20 mars 2016 est celle de l’entrée en vigueur de l’accord de Bruxelles du 18 mars.

« Aujourd’hui tous les nouveaux arrivants sont directement conduits par les autorités au camp d’enregistrement de Moria et la porte se referme sur eux. » (Boris Chestirkhov du HCR)

La Grèce a donc décidé d’appliquer la rétention avant d’avoir mis en place le cadre juridique des nouvelles règles applicables et ces nouvelles règles ont encore fait remonter le stress des arrivants selon Médecins du Monde. « Il semble inconcevable aux réfugiés d’être renvoyés en Turquie, compte tenu du coût humain et matériel de la traversée qu’ils ont déjà supporté ».

Huit jours après, personne ne semble avoir vraiment idée des modalités d’application du texte de l’accord et pourtant le temps est compté, car le camp de MORIA, seul apte à accueillir des réfugiés en détention, sera plein dans les prochains jours.

Avec cet accord et le recours à la rétention, la Grèce fait un saut en arrière de plusieurs années dans l’avant-Tsipras. C’est l’avis des bénévoles des organisations internationales encore présents sur l’île qui ont manifesté ce week-end dans la capitale de l’île de Mytilène en scandant   « HONTE A L’UE ».

Bernard Jouanneau, Président de Mémoire 2000

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