C’était au siècle dernier, en 1992, nous étions une “petite bande” de militants venue d’une autre association (la LICRA) qui avons, pour des raisons diverses, décidé de créer une nouvelle association et de voler de nos propres ailes en quelque sorte…
20 ans après, (presque) toujours bon pied, bon œil, nous poursuivons notre action.
Plagiant Pérec (seul le talent est copié), nous vous livrons ici, les souvenirs de quelques uns de nos militants…
De la naissance…
Je me souviens, c’était le printemps, nous étions une petite quinzaine de personnes enthousiastes et déterméinées à faire mordre la poussière au racisme, en décidant de créer, sous la houlette de Bernard Jouanneau, une nouvelle association.
Je me souviens des réunions ani-mées, passionnées, voire hoûleuses, qui ont présidé à la naissance de nos statuts et des longues soirées passées à l’élaboration de notre action.
Je me souviens de l’énergie déployée pour essayer, souvent en vain, de convaincre des partenaires du bien fondé de cette action.
Je me souviens du plaisir que nous éprouvions à nous retrouver et à pas-ser, sans compter, des heures à débat-tre avec ferveur.
Je me souviens de l’effervescence intellectuelle qui régnait dans ces réu-nions où la confrontation des idées nous rendait plus intelligents, et de la folle énergie qui s’en dégageait.
Je me souviens de notre farouche volonté de donner à cette association un caractère inédit par les méthodes employées pour dénoncer et “vaincre” le racisme.
Bref j’ai aimé cette naissance. Et même si les années nous ont (un peu) fatigués, je suis heureuse que nous soyons encore là 20 ans après avec le même enthousiasme et la même détermination qu’au premier jour, à combat-tre le racisme et toutes les atteintes aux droits de l’homme.
Fière que Mémoire 2000 ait été beaucoup imitée.
Contente d’avoir participé à cette belle aventure.
L’état du monde ne nous permettant pas d’arrêter, je sais que nous serons là pour de nombreuses années encore et toujours aussi vindicatifs …
Lison Benzaquen
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Des voyages…
Je me souviens à Drancy, de notre chère Francine Christophe montrant son étoile jaune à des élèves médusés.
Je me souviens de notre départ pour visiter Oradour où l’un de nos élèves s’est fait contrôler par la police, n’avait pas ses papiers en règle et a été empêché de partir avec nous. Son professeur était bien sûr resté à ses côtés !
Je me souviens lors de ce même voyage du témoignage de deux survivants, qui on pu s’échapper de la tuerie en rampant sous les cadavres des hommes du village, fusillés dans la grange.
Je me souviens des jeunes élèves de premier cycle entonnant le chant des partisans et un autre que je ne connaissais pas, “Le petit garçon qui avait une étoile à la place du cœur”, dans le car qui les ramenait de la visite de la Maison des Enfants d’Izieu. Et je me souviens de leur émerveillement lorsqu’ils avaient traversé la ville de Lyon qui leur avait semblé si belle ! Ils n’avaient pas eu beaucoup l’occasion de sortir de Paris.
Je me souviens de l’air si grave des jeunes sur l’étroit chemin qui, sur le Mont Valérien, va de la chapelle où les résistants condamnés ont passé leur dernière nuit et la clairière où sont encore dressés les poteaux auxquels ils étaient liés avant d’être fusillés.
Je me souviens de ces magnifiques témoignages d’un grand résistant normand, Jacques Vico, lors de visites au Mémorial de Caen.
Je me souviens enfin de notre beau voyage au Camp du Struthof où des élèves de l’Ecole Alsacienne avaient pu rencontrer d’autres élèves venant d’un lycée de Forêt Noire.
Je me souviens de tous ces voyages dont je veux croire que nombreux seront ceux parmi les jeunes qui en garderont la mémoire…
Claudine Hanau
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Des séances…
Certaines de nos projections de films nous touchent plus que d’autres: le thème, les questions des élèves, les prestations des témoins ou des débat-teurs, tout cela peut marquer nos mémoires de façon indélébile.
Je me souviens de la séance consacrée au merveilleux film Va, vis et deviens, de Radu Mihaïleanu: après l’avoir mitraillé de questions, les élèves (c’étaient des terminales) s’étaient lit-téralement rués sur lui pour le féliciter, lui parler, le toucher, lui dire leur admiration. Jamais je n’avais vu une telle ferveur! Quand, après de très longues minutes, il nous fut enfin possible de l’approcher, il nous dit sa surprise, son émotion…et aussi son bonheur.
Je me souviens de mon ami Elie Buzyn, témoin et débatteur d’un film sur la Shoah, déporté à 11 ans à Buchenwald puis à Auschwitz. Quand un élève lui demanda pourquoi il avait une tendresse toute particulière pour les gens âgés, il eut une réponse qui bouleversa tout l’auditoire : “C’est parce que je n’ai pas eu le bonheur de voir mes parents vieillir, ou simplement être malades”. Pour la simple et terrible raison que ses parents furent gazés et son jeune frère abattu sous ses yeux par les nazis, et ceci dès leur arrivée à Buchenwald.
Je me souviens encore de la projection récente d’un film sur la guerre d’Algérie: mon ami Daniel Rachline, avec qui je devais assurer le débat (nous étions deux anciens de cette sale guerre), fut littéralement submergé par l’émotion, et ne parvint pas à pronon-cer une seule parole pendant plusieurs minutes. Et puis, tout rentra dans l’ordre, et Daniel put enfin s’exprimer et répondre aux questions pertinentes des élèves. Mais combien cette réaction, cette émotion, était légitime et compréhensible! Le seul fait d’évoquer cette fichue guerre faisait remonter à la surface tant et tant de choses vécues, endurées et enfouies…plus ou moins volontairement…
Enfin, je me souviens, au terme de cette même projection d’un film sur la guerre d’Algérie, de ces deux jeunes Algériens venus me dire leur bonheur de me savoir né, tout comme eux, sous le merveilleux soleil d’Alger, et m’inviter chaleureusement à y retourner: “C’est chez vous, monsieur, vous êtes là-bas chez vous, allez-y, vous verrez, vous y serez bien reçu”. Je n’en doute pas, et je pense que je vais finir par y aller. Ne serait-ce que pour leur faire plaisir, ils y mettaient tant de cœur!
Mais c’est égal: quand on éprouve de pareilles émotions, quand on côtoie ces jeunes qui, comme nous nous plaisons à le leur dire, constituent la France de demain, on ne peut qu’être heureux d’appartenir à une Association comme Mémoire 2000, et d’apporter ainsi sa toute petite pierre à la construction d’un monde (que nous espérons) meilleur.
Guy Zerhat