Journal de Juillet 2012: Le crime du 16 juillet

Le Président François Hollande devant la plaque commémorative de la rafle du Vel d’Hiv, Juillet 2012

C’est sous la présidence de François Mitterrand qu’a été instituée la cérémonie annuelle consacrée aux victimes de la rafle du Vel d’hiv, à deux pas du lieu du crime. Par la suite, certains événements (la pose d’une couronne sur la tombe du Maréchal Pétain, certaines amitiés) ont pu brouiller le message, mais le calme est revenu, en particulier avec la déclaration de Jacques Chirac sur la reconnaissance des responsabilités d’une certaine France. Nous connaissons (presque tous) maintenant le déroulement de ce Jeudi Noir sans précédent dans l’histoire de France, codé sous le nom charmant de Vent Printanier.

Ce n’est qu’en 1967 que paraît un livre de Claude Lévy et Paul Tillard, “La grande rafle du Vel d’Hiv”. Joseph Kessel écrit la préface de ce livre qui a le singulier mérite d’éclairer, dans la chronique du martyre, un épisode terrible, dont personne, semble-t-il, jusqu’à présent, n’avait démonté les éléments, racontés pas à pas la démarche, exposé en détail l’atrocité. Il faut dire qu’il était difficile de le faire plus tôt, car il ne restait pas grand monde à interroger. Les sources sont donc venues principalement des résistants.

Au départ, une immense toile d’araignée constituée dès le début de l’Occupation, sous la forme d’une opération de recensement : un fichier établi par la police française – une fiche par nom de juif étranger habitant la région parisienne, son métier, son quartier, sa situation de famille. Pour Vent Printanier, on en a extrait 25334 fiches pour Paris, 2054 pour la banlieue. Les commissariats de quartier ont fourni la matière première, puis le fichier a été transporté à la Direction administrative des affaires de police générale. Pour l’organisateur responsable du fichier(*) et son supérieur hiérarchique(*), un commissaire directeur des camps de concentration de Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande, ce fut un énorme travail, il a fallu adjoindre aux inspecteurs des auxiliaires féminines qui n’étaient pas prévues (et aussi, semble-t-il, des Scouts de France). L’opération était prévue pour les 13 et 14 juillet, mais tout de même, le 14 juillet, c’était d’un mauvais goût…

Document administratif de 1942

Veillée d’armes le mercredi 15 juillet, “briefing” : Darquier de Pellepoix, commissaire aux questions juives, ouvre la séance en annonçant que les autorités d’occupation se sont déclarées prêtes à débarrasser l’Etat français et que la présente réunion a pour but de discuter la réalisation technique de la déportation. L’opération emploiera 9000 hommes. Les arrondissements les plus chargés : 3ème, 4ème, 10ème, 11ème, 12ème, 18ème, 20ème. On prévoit 888 équipes d’arrestation, avec instructions dictée le 12 juillet par Hennequin.

Malgré ceux qui ont eu accès à l’opération la veille (communistes, résistants) qui distribuent des tracts au péril de leur vie, malgré les feuilles clandestines imprimée en yiddish et glissées dans les boîtes à lettres, malgré les policiers qui ont sauvé leur honneur en prévenant…Où fuir? Où se cacher? Chez les voisins? Dans la rue? Dans des appartements vides? Dans les caves et les garages? Sauter par la fenêtre si l’on habite au rez-de-chaussée? Ou sauter par la fenêtre avec ses enfants même si l’on n’habite pas au rez-de-chaussée? Comment se procurer des faux papiers en une nuit? Où se réfugier? A la campagne? il est risqué de prendre le train. Quelle solidarité? Se réfugier en zone libre? Avec quel argent?…

Dès quatre heures du matin, les cars convergent de la banlieue vers Paris, la chasse à l’homme commence : 13000 juifs étrangers seront pris en une journée: demi échec car l’objectif était de 28000.

plaque commémorative du jardin du souvenir à l’emplacement du Vélodrome d’Hiv (Paris, 15e arrondissement)

Les situations inhumaines à l’intérieur du Vel d’Hiv ont été décrites, sont maintenant connues : incrédulité, entassement, conditions sanitaires immondes, sans air, cohue hagarde, excréments. Il faisait une chaleur torride. Une trentaine de suicides, du haut des gradins ou avec des morceaux de glace brisé. Les prises de conscience de la situation, la terreur, l’abîme, ceux qui commencent à perdre la raison, crises hystériques, pertes de contrôle, ceux qu’il faut attacher sur des brancards pour les dissimuler aux yeux de la foule…Les enfants ont faim, ils hurlent. 4051 enfants qui commencent à perdre leur enfance, et les petits qui essaient de consoler leurs parents…

Quelques témoignages de l’intérieur ont pu être rapportés. Celui d’un médecin : je me souviendrai toujours, entre autres, de cette vieille grand-mère, immobile sur son strapontin, les mains appuyées sur ses genoux recouverts d’un tablier artistiquement brodé, et dont on ne put tirer aucune parole, en quelque langue que ce soit.

Et celui aussi du Docteur Weill-Hallé, le souvenir impossible à oublier de cette petite fille malade, qui, ses grands yeux braqués su mon visage, me suppliait de demander aux gendarmes sa libération parce que, l’année durant, elle avait été très sage et qu’elle ne méritait pas de rester en prison.

Pour les quelques petits garçons et petites filles qui ont réussi à revenir ou à s’échapper du Vel d’Hiv, ces scènes resteront pour chacun, n’en déplaise aux psychanalystes de toutes obédiences, ce qu’ils appellent la “scène primitive”. Impossible à effacer.

Colette Gutman

(*) Les noms de ces irréprochables fonctionnaires sont connus, mais ne seront pas cités ici, par égards pour leurs familles qui doivent en souffrir suffisamment.

 

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