Version commentée par Marc Naimark de l’entretien du Nouvel Obs avec le président UMP de la LICRA, Patrick Gaubert :
Le président de la Licra, Patrick Gaubert, a été reçu dimanche par Brice Hortefeux. Il explique à nouvelobs.com que « personne n’insulte » le jeune militant UMP, et qu’il n’a « pas de raison de ne pas croire » les explications du ministre.
Vous avez été reçu par Brice Hortefeux dimanche. Ses explications vous ont-elles convaincu ?
– Nous avons rencontré un homme plus qu’un ministre. Un homme vraiment navré par toute cette polémique et qui nous dit : « pour qu’il y ait des excuses, il faut qu’il y ait une faute. Et dans mes propos, à aucun moment je n’ai mentionné une quelconque origine ».
Sauf que, Hortefeux lui même, lors d’une ses multiples tentatives de réécrire l’histoire en question, prétend qu’il s’agissait de « trop d’Auvergnats ».
Il ajoute -et c’est ce que nous souhaitions- : « en revanche, si mes propos ont été inexactement reçus ou interprétés, je suis sensible à l’émotion suscitée ».
C’est la vieille technique des faux regrets : je ne demande pas pardon parce que j’ai fait du mal, mais parce que vous êtes assez cons d’être blessés par ce que j’ai fait.
Sur cette affaire, le ministre avait une position qui était : « on est en train de vouloir m’assassiner médiatiquement ». Mais il y a des gens qui ont vu le film et qui ont une autre version – il ne s’agit pas que d’adversaires, comme il le dit. Il y aussi des gens qui ont pu être blessés. Ce dont la Licra voulait être sûre, c’est que Brice Hortefeux ait bien compris et intégré que ses propos aient pu blesser. Il l’a compris et je crois qu’il le redira ce soir [lundi] puisqu’il est invité à la rupture du jeûne organisé par le Conseil français du culte musulman (CFCM).
Je connais Brice Hortefeux depuis une trentaine d’années. Il a plein de défauts, comme vous et moi, mais en tout cas pas celui d’être raciste.
Sauf, bien entendu, lorsqu’il l’est… ou bien, il n’est peut être pas raciste, mais il sait jouer sur le racisme, tel un Jacques Chirac aux odeurs ou un Manuel Valls aux blancos.
Et si Patrick Gaubert a des amitiés avec Brice Hortefeux ou Nicolas Sarkozy, le président de la Licra n’a d’amitié avec personne [NDLR: Patrick Gaubert est un ancien député européen élu sur une liste UMP. Il a été conseiller municipal RPR à Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine, le département de Nicolas Sarkozy].
De plus, Brice Hortefeux nous a clairement réaffirmé sa détermination à lutter contre toute forme de discrimination ou de racisme.
Mais il y aussi les propos tenus par des militants UMP et que le ministre a laissé passer…
– Il y a peut-être eu un moment où il aurait fallu arrêter les militants. Tout le monde en est conscient. Qu’est-ce qu’on a besoin de rappeler que le militant mange du porc ou qu’il boit de la bière? C’est nul. On le résume à son origine et à ses parents. Mais personne n’insulte le jeune.
Donc pour qu’il y ait racisme, il faut qu’il y ait insultes. C’est bon à savoir que la LICRA ne pourra agir désormais en justice que sur fond d’insultes racistes. Qu’elle va désister de son action en partie civile contre le préfet Girot. Et qu’elle va rembourser les multiples euros symboliques qu’elle a touchés lors de précédentes actions.
Lui-même n’est pas choqué, il semble s’en moquer complètement. Le ministre était dans l’action; il en avait marre de faire des photos et il voulait s’en aller.
Et puis sincèrement, c’est comme cela dans tous les partis politiques. Nous avons proposé que la Licra se rende dans tous les partis pour expliquer aux militants les règles du vivre ensemble.
Comme la règle que le racisme commence lorsque les insultes fusent, mais pas avant.
Lorsque quelqu’un dit, dans une discussion sur l’origine arabe d’une personne: « Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes », ce sont des propos racistes, oui ou non ?
– Si le ministre avait confirmé que la phrase qu’il avait dite concernait l’Arabe, je ne sais pas si je serai allé le voir.
Mais si. Si le Président de la LICRA n’y allait pas, l’ami Patrick irait bien, non?
A partir du moment où il dit que cela ne concerne pas les Arabes, et que dans son esprit, il parle des Auvergnats, je n’ai pas de raison de ne pas le croire. Il explique qu’il parle du « prototype » des Auvergnats, qui est d’être petit et râblé, alors que le militant est plus grand que lui.
Donc quand je parle du « prototype » du Juif, fourbe, radin, au nez crochu, et que je dis qu’untel ne correspond pas au « prototype », je ne fais pas du racisme ? C’est un avis intéressant…
Et en regardant la vidéo dans son contexte, avec l’enchainement des propos des militants UMP sur l’origine arabe, puis ceux du ministre qui s’inscrire dans la même discussion, vous acceptez la version du ministre ?
– Oui. La crème de la Licra était avec moi pour rencontrer Brice Hortefeux, des gens sûrs dans leurs convictions. Nous avons ensemble réfléchi à la façon dont le ministre pouvait communiquer. Ces explications sont ce que nous souhaitions. J’ai dit en sortant que l’affaire était close et qu’il fallait passer à autre chose. J’entends à ici et là que je suis un ancien député européen UMP, mais je n’ai jamais été UMP et je sais combattre ceux qui sont racistes, d’où qu’ils viennent.
Bon, on peut être élu sur une liste UMP sans être encarté, certes. Comme on peut être plein de choses sans payer l’adhésion…
Comme par exemple le préfet Paul Girot de Langlade, poursuivi pour « injures publiques à caractère racial », et contre qui vous vous portez partie civile ? Quelle différence faites-vous avec les propos de Brice Hortefeux ?
– La différence, c’est que personne ne s’est senti insulté.
Donc il n’y a racisme que lorsque la victime directe porte plainte. La LICRA ne va donc plus utiliser son droit d’agir d’office en cas d’action en justice dans le domaine du racisme. C’est bon à savoir.
Le jeune n’est pas venu voir la Licra ou une autre association en lui demandant d’attaquer le ministre. Il n’y a donc pas lieu de porter plainte. Dans l’affaire du préfet, ce sont les personnes qui se sont senties attaquées qui ont demandé à la Licra de se porter partie civile.
Ne craignez-vous pas, à travers toute cette affaire, une banalisation du racisme ?
– La Licra voit 80 à 100.000 enfants par an pour leur inculquer la tolérance et le respect. Nous avons proposé que la Licra se rende dans tous les partis pour expliquer aux militants les règles du vivre ensemble.
Du redit… donc je me permets de répéter : la LICRA qui a laissé passé les propos de son président d’honneur Jacques Chirac sur le bruit et les odeurs, la LICRA qui vient de blanchir Brice Hortefeux, n’est peut être pas le meilleur donneur de leçons…
Aujourd’hui, le politique doit savoir que la parole est importante et qu’il y a toujours des gens pour enregistrer. Il faut faire attention à ce qu’on dit. C’est comme pour Patrick Devedjian qui lance « cette salope » [ndlr : l’actuel ministre UMP de la Relance économique, au sujet d’Anne-Marie Comparini, ancienne élue MoDem à Lyon]. On ne peut plus parler comme cela.
A entrendre M. Gaubert, c’est le fait d’être enregistré qui crée les problèmes, non pas le racisme, le sexisme, l’homophobie, la vulgarité des auteurs de ces propos. Va-t-il signer l’appel de Jean-François Copé pour la censure de l’internet ?
Est-ce que vous partagez l’analyse de Brice Hortefeux quand il crie au complot médiatique ?
– Ecoutez, chacun se défend comme il veut.
Comme en faisant venir son pote d’une association prétendue anti-raciste pour se blanchir.
On a vu la scène jusqu’à la fin. La diffusion de cette vidéo est normale. Cette vidéo est là. C’est un endroit public, c’est filmé. La vidéo est ensuite balancée au Monde. Il y a peut-être derrière cette diffusion une double volonté: d’une part celle d’informer, et de l’autre celle de mettre le ministre dans une situation difficile. Il y a un mélange entre des raisons d’information et de politique.
Espérons que dans l’intérêt de notre société, cette affaire s’arrêtera là et que l’Etat pourra continuer à travailler avec les jeunes, les associations et tous ceux qui dans la vie se sentent rejetés. Il ne faudrait pas que ce soit contre-productif. Nous avons besoin de ce contact avec les associations pour faire passer des messages sur les valeurs de la République.
Ce nécessaire lien de confiance est justement un argument avancé par ceux qui appellent à la démission de Brice Hortefeux…
– Oui mais alors tout cela est assez curieux. Monsieur Hollande dit avant le week-end que ces propos ne sont pas très graves, et quelques jours plus tard il appelle à la démission du ministre. On rentre dans le côté noir de la politique.
L’affaire est close, sauf, semble-t-il, lorsqu’il s’agit d’attaquer un Socialiste…
Vous ne craignez pas par exemple que les déclarations du ministre de l’Intérieur ne nuisent à l’image de la police ?
– J’espère que non. Mais cela dépend du ministre. S’il répète son émotion sur la façon dont certains ont pu percevoir ses propos, les échanges entre la police et les associations peuvent se poursuivre de façon positive. Nous souhaitions que le ministre exprime son émotion. Il reste droit dans ses bottes, mais il a compris que certains pouvaient être blessés.
Interview de Patrick Gaubert par Baptiste Legrand – Nouvelobs.com
(le lundi 14 septembre 2009)