
Mémoire 2000 apporte son soutien à Hakim Djaziri, contraint d’annuler la représentation de sa pièce Audrey, le carnet d’abîmes d’une convertie programmée au théâtre de Roanne le mardi 14 mai 2024 en raison de sérieuses menaces que lui et ses plusieurs de ses collaborateurs ont reçues.
Elle ne m’a rien dit d’après le livre d’Hager Sehili
Collectif Le point zéro
Mise en scène d’Hakim Djaziri
Avec Sephora Haymann, Antoine Formica, Lisa Hours, Corine Juresco et Hakim Djaziri
Théâtre Jacques Prévert Aulnay-sous-Bois. 29 mars 2024
Dans cette pièce poignante, Hakim Djaziri raconte l’histoire d’Hager Sehili première personne en France à avoir fait condamner l’État pour dysfonctionnement et faute grave suite au féminicide de sa sœur.

Sephora Haymann
Quartier Hautepierre à Strasbourg. Le 17 avril 2010 à 14h52, Ahlam Sehili, la trentaine, meurt d’hémorragie interne, strangulation et noyade. Le meurtrier n’est autre que son mari qui s’est défenestré après avoir commis son acte. Ce drame tragique aurait pu être évité car Ahlam avait porté plainte la veille de son meurtre pour les menaces de mort qui pesaient sur elle depuis des mois. Sa plainte n’a malheureusement pas été instruite et Ahlam est retournée entre les bras de son bourreau. Hager Sehili, la grande sœur d’Ahlam, n’a jamais rien su des violences que subissait sa sœur. Après une longue période de dépression, elle décide de mener le combat pour rendre sa dignité à sa sœur et faire évoluer la protection des femmes menacées.
Une classe invitée
Vendredi 29 mars 2024 à 20H30, Mémoire 2000 a accueilli la classe de 1ère du lycée Henri Wallon d’Aubervilliers avec leur professeure de lettres Madame Manijean, au Théâtre d’Aulnay-Sous-Bois. Les élèves s’étaient inscrits nombreux pour cette sortie hors temps scolaire, mais ils étaient moins nombreux que prévu. Effet de la pluie, de la fatigue d’une longue semaine avec perspective de cours le lendemain matin ?
Dommage pour les absents car les élèves présents ont applaudi debout à la fin du spectacle ! Ces derniers profondément émus par l’histoire d’Ahlam Sehili ainsi que par la présence de sa sœur Hager (« la vraie ») en fin de spectacle, ont eu le sentiment de vivre un moment unique. Happés par la densité dramatique et le rythme de la pièce, ils ont trouvé l’interprétation et les dialogues d’une grande justesse.
« Au fur et à mesure que la pièce se déroulait, on pouvait presque ressentir ce que Hager Sehili, la sœur de la victime, a ressenti pendant ces onze ans : la rage, l’incompréhension, l’abattement, le sentiment de désespoir d’avoir perdu sa deuxième partie et enfin la satisfaction d’avoir enfin, après tant d’années, redonner la dignité à sa sœur. » témoigne Eliott.
« Je fais du théâtre, et pour moi c’est sans conteste le plus beau spectacle auquel j’ai assisté depuis le début de l’année » ajoute Naysha, le regard encore plein d’admiration pour le combat d’Hager. En effet, pour ces élèves qui ont lu Olympe de Gouges, mais aussi composé des chansons dans le cadre de la journée du 8 mars, la pièce d’Hakim Djaziri fait d’autant plus sens. Elle leur rappelle combien l’art théâtral contribue aussi à faire entendre toutes les voix qui s’élèvent contre les violences faites aux femmes.
Bord Plateau après la représentation
A la fin du spectacle, Hager Sehili entre seule en scène, face au public et explique le sens de son combat. Les lumières se rallument, le rideau descend. Hakim Djaziri et Hager Sehili accueillent le public pour un « bord plateau ». En voici quelques traces :
La première question s’adresse à Hajer Sehili, a-t-elle participé au casting ?
- Je ne viens pas du tout du monde du théâtre. J’ai fait confiance à Hakim, nous avons discuté pendant des heures, je lui ai donné ma version et c’est lui qui s’est chargé du casting et de la mise en scène.
Hakim poursuit :
- J’ai rencontré Hajer en avril 2022, en scrollant sur mon téléphone, je trouve cette information : elle a réussi à faire condamner l’Etat pour faute lourde pour dysfonctionnement du service public de la justice. Je l’ai contactée et je me suis dit que si je voulais me saisir de ce sujet il fallait aller jusqu’au bout. C’est vraiment la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans la prise en charge des victimes qui est en jeu. Les bras m’en sont tombés que, pour une décision aussi importante, il n’y ait pas eu de couverture médiatique. C’est pourquoi j’ai contacté Hajer et lui ai proposé de mettre cette situation sur une scène de théâtre. Nous avons beaucoup échangé. En septembre 2022, la pièce était écrite. Merci au théâtre d’Aulnay. Je suis ici dans ma ville qui m’a conduit vers le théâtre.
Une question posée à Hakim Djaziri « Ce n‘est pas trop dur d’incarner le rôle du mari assassin ? »
- Je ne l’ai pas écrit pour moi. Je suis déjà producteur, auteur, réalisateur… J’ai fait un énorme casting, j’ai vu plein d’acteurs. Mais trouver ce personnage-là, c’était dur. Quant à moi, je connais très bien la violence, je l’ai très bien connue dans mon enfance. Quand j’ai vu qu’on ne trouvait pas d’acteur, j’ai décidé d’y aller.
(Il est effectivement excellent dans ce personnage à deux faces, alternant douceur humble et protestation d’amour soumis avec des moments de rage dominatrice et de violence destructrice)
Une question pour Hajer Sehili : « Est-ce que vous savez pourquoi votre sœur ne vous a rien dit alors que vous étiez si proches ? »
- Au début je lui en voulais et je ne comprenais pas, maintenant que je suis présidente d’une association de femmes victimes*, je réalise que c’est très fréquent. Presque dans 90% des cas. Elles n’arrivent pas à dire à leur entourage ce qu’elles vivent.
*L’association à l’Âme en hommage à sa sœur Ahlam.
Hakim Djaziri ajoute:
- Je vous invite à lire Muriel Salmona qui écrit sur les mécanismes de domination. Les policiers ne comprennent pas pourquoi ces femmes ne portent pas plainte plus tôt. De victimes potentielles, elles deviennent menteuses potentielles. Il y a un phénomène important, la sidération. C’est important de le faire comprendre.

Sephora Haymann
« Mon objectif, à travers cette pièce, est de rapporter le plus fidèlement possible le témoignage poignant d’Hager au théâtre mais aussi et surtout d’interroger notre capacité collective à répondre à ce problème qui ne devrait pas exister dans notre société en 2023. […] Aujourd’hui, nos yeux ne peuvent plus rester fermés. Ne pas se positionner, c’est admettre que les violences faites aux femmes sont « normales » à une époque où notre conscience collective (puisque je crois que l’écrasante majorité des gens est consciente du problème) n’a jamais été aussi alerte à ce sujet. » Hakim Djaziri
