Compte-rendu de notre séance du 23 janvier 2024 avec Ginette Kolinka et Stéphan Moszkowicz

Ginette Kolinka et Stéphan Moszkowicz à la fin de notre séance

Stéphan Moszkowicz, le réalisateur du film « N’oubliez pas que cela fut » présente en quelques mots son documentaire aux élèves et leurs professeurs avant le début de la projection. 

La salle du Silencio des Prés est comble avec la présence de plus de 180 élèves et 20 professeurs et accompagnateurs.

Sont présents une classe de 3ème du collège du Parc à Saint Maur, une classe de 3ème du collège Dulcie September à Arcueil, une classe de 3ème du collège Camille Pissarro à La Varenne Saint Hilaire, deux classes de 3ème du collège Louis Pasteur à Villejuif, une classe de 3ème du collège Jules Ferry Maisons-Alfort, une classe de 3ème du collège Louis Blanc à Saint-Maur-des-Fossés, une classe ULIS du collège de Dorval à Orly. 

A la fin de la projection du film, Jacinthe Hirsch analyse le titre du film documentaire de Stéphan Moszkowicz, « N’oubliez pas que cela fut », extrait du livre de Primo Levi « Si c’est un homme » paru en 1947. Notre présidente précise que ce « cela », l’assassinat industriel de six millions de juifs dans des usines de la mort qu’étaient les camps d’extermination, notamment le camp d’Auschwitz-Birkenau, est impossible à penser, tellement cela dépasse l’entendement humain. « N’oubliez pas que cela fut », un « cela » dont Ginette Kolinka, déportée à Auschwitz-Birkenau à l’âge de 19 ans, va témoigner devant les près de 210 personnes qui sont présentes dans la salle du Silencio des Prés.

Ginette Kolinka commence par interpeller les élèves : est-ce qu’il y a beaucoup de personnes de moins de 15 ans dans la salle ?

Près de la moitié des élèves se lève puis se rassoit.

Ginette Kolinka les regarde et leur dit : « Eh bien Hitler vous aurait tués ! »

Emoi et stupéfaction parmi les élèves.

Ginette Kolinka : Hitler tuait les juifs qui avaient moins de 15 ans. Méfiez-vous quand on dit : les juifs, les musulmans, les étrangers. Dès qu’on généralise, c’est le début. On ne voit rien à Birkenau, car les nazis ont détruit les traces. 

Un élève : Vous aviez quel âge ?

Ginette Kolinka : On ne demande jamais son âge à une femme ! 

Rires des élèves.

Ginette Kolinka : J’avais 19 ans, mon père 61 ans, mon frère 14 ans. Si vous aviez moins de quinze ans, on vous tuait. Hitler laissait quelques juifs en vie pour travailler.

Un élève : Quelles étaient les conditions de vie dans le camp ? 

Ginette Kolinka : Qu’entendez-vous par les conditions de vie ? Le réveil était à 4h du matin, puis c’était l’appel jusqu’à 6h du matin. Après on travaillait dans un commando. Les commandos étaient très différents. Moi, j’étais dehors, je faisais les routes et les fossés avec les copines. On a installé les rails pour l’arrivée des trains en avril 1944. Les trains s’arrêtaient à l’entrée du camp. J’ai mis les rails. On dormait dans des niches, des Koya (les Koya, du Polonais kojec, kojca, « cages à poules », étaient les compartiments de bois superposés où les déportés logeaient pour la nuit). On était à six par niche, celle près du sol, celle du milieu, et celle en haut qui était plus agréable car on avait un peu d’air. Les Koya, c’était uniquement pour dormir. Sauf à l’arrivée (dans le camp), c’était la quarantaine. 

Un élève : Est-ce que c’était plus dur psychologiquement ou physiquement ? 

Ginette Kolinka : Les deux mon capitaine ! Psychologiquement, on n’est pas habituée. Au début, le psychologique a très peu tenu. On n’était plus des êtres humains, vous êtes nues, on vous enlève vos cheveux, on n’est plus rien, on va nous commander. On était rien, moi j’ai été transformée en robot. D’être nue, alors que j’étais très pudique, ça a été le coup de massue. Les camions, les gens dedans ont été tués. 

Un élève : Est-ce que vous pouviez faire vos besoins dans le train (de déportation) ?

Ginette Kolinka : On est entassé dans le wagon, nous dans notre wagon, on était assis. On devait partir de Drancy avec une couverture sur le bras gauche. A la gare de Bobigny, j’ai vu que mon père avait deux couvertures dans le pantalon, tellement il avait maigri. Ses couvertures ont servi pour l’endroit où on a fait les besoins. Mais il y avait l’odeur et le bruit. La première chose à l’arrivée dans le camp, c’était faire ses besoins. Mais quand j’ai vu les latrines, c’était impensable pour moi de faire mes besoins. Après, je n’avais plus de sentiments.

Un élève : De combien de temps avez-vous eu besoin pour vous réhabituer à la société ?

Ginette Kolinka : J’ai eu beaucoup de chance. Personne n’est revenu. Que moi. Mais une partie de ma famille n’a pas été déportée. A Theresienstadt, j’avais le typhus, j’ai été rapatriée en juin 1945. J’ai remangé petit à petit. Pour mes sœurs, rien n’était trop bien pour moi. On m’a aidé à reprendre pied. Comme elles avaient été privées de tout pendant la guerre, la libération de Paris (août 1944) a été une grande joie pour mes sœurs. Quand je suis arrivée (de retour des camps en juin 1945), mes sœurs ont eu l’intelligence de continuer à avoir la joie de vivre. On connaît plein de chansons et on te les apprend. Plein de friandises te sont données. Nos camarades (avant guerre), plus personne en vie. On était locataire, donc plus d’appartement. L’appartement vidé. Est-ce la Gestapo ? Les voisins ? Mes sœurs ont eu la chance de récupérer notre appartement car il avait été occupé par des collaborateurs qui envoyaient les jeunes en STO (Service du Travail Obligatoire en Allemagne). Quand mes sœurs reviennent de zone libre après la libération, elles ont dénoncé ces personnes aux FFI (Forces Françaises de l’Intérieur, toutes les forces de résistance sur le territoire français) et les collaborateurs ont été en prison. 

Un élève : Est-ce que vous avez haï l’Allemagne et la Pologne ?

Ginette Kolinka : Et vous, qu’est-ce que vous auriez fait ? C’est sûr que je les ai détestés et haï. Mais il y a des cas où on ne peut pas faire autrement. Mais je fais une très grande différence entre les nazis et les Allemands d’aujourd’hui, même de 75 ans, il était bébé à l’époque. Pour les nazis, aucun pardon. Pas de pardon pour les Allemands (adultes à l’époque), ils ont tous été des nazis. Les Allemands contre les nazis, ils ont été en prison et Hitler s’est entrainé sur eux.

Un élève : Comment avez-vous fait pour survivre ?

Ginette Kolinka : La chance. La malchance, c’était d’être là quand on m’a arrêtée. Il y en a qui veulent me mettre une auréole : courage et volonté. Non. Je faisais ce qu’on me commandait. Il y avait des personnes, des directeurs, des femmes qui se sont révoltés à l’arrestation. Ils ont eu des coups qu’on pouvait se dispenser d’avoir. A Birkenau, on était un grand groupe de Français, on s’aperçoit que j’ai la gale, or c’est très contagieux. Pour leur famille, les dirigeants  du camp…tout de suite, j’ai été soignée. En août 1944, c’était la chambre à gaz (si on avait la gale), en novembre 1944, j’ai été soignée. J’ai eu un liquide… trois jours, trois nuits dans les wagons (de déportation), en novembre, j’étais crasseuse. Avec le produit liquide, je n’étais plus crasseuse. J’ai été changé, je me suis cachée, j’ai reçu des coups, on partait en rang par cinq, dans le commando, le dernier rang où j’étais, on fait demi-tour. On va rester debout. On triche un peu. Dans la matinée, on a un appel proche de l’endroit où les trains arrivent au pied des chambres à gaz. Cet appel, c’est très rare. Devant le train, avec les Hongroises, ces wagons, on va partir pour Bergen-Belsen en novembre 1944. Sinon, j’aurais travaillé jusqu’en janvier 1945, et la marche de la mort… des températures de -15 degrés, -20 degrés, une couverture avec la neige très lourde, beaucoup (de déportés) les ont laissées tomber. Au pied, je ne me rappelle plus ce que nous avions. J’ai fait tout ça en train. 

Un élève : Quel était votre relation avec Simone Veil ?

Ginette Kolinka : Simone Jacob, on fait une corvée ensemble, ça ne servait à rien, on portait des pierres. La kapo qui nous commande, elle était la pire. Je suis avec Simone, on transporte des pierres, il pleut, on passe devant un mirador, la kapo nous pousse dans ce mirador pour nous abriter. On s’assoie, Simone et moi, on s’endort. La kapo nous fait ressortir. La kapo est tombée en extase devant Simone : « T’es trop belle !». Simone a été très gênée que la kapo ne me regarde pas. « Tu resteras pas dans ce camp ». Simone a eu des affaires. Simone m’a donné une robe, elle a eu plusieurs robes. Cette robe m’a sauvée la vie. Mon neveu qui avait quatorze ans avait été (tué)… Une nuit, cette robe disparaît. Avant, avec cette robe, je me sentais plus humaine, j’ai repris du moral, une arrivée de vitamines…C’est pour ça que les historiens se méfient des souvenirs des déportés. Mais leur haine (la haine des nazis) était telle que rien n’était impossible. 

Un élève : Avez-vous gardé votre tatouage ?

Ginette Kolinka : Oui, j’ai gardé mon tatouage. Après la guerre, (je ne voulais) aucun signe qui me rappelle cette période. Mais on peut vivre sans être obsédée par le camp. Mais souvent… j’arrête. 

Un élève : Avez-vous eu des séquelles ?

Ginette Kolinka : Oui, des souvenirs. J’ai eu la chance de retrouver ma famille. J’ai été dans les mains de très bons docteurs, leur régime m’a bien réussi. Je faisais plus que vingt six kilos, il fallait faire attention. 

Un élève : Est-ce que des personnes vous aidaient à avoir plus de nourriture dans le camp ? 

Ginette Kolinka : Moi je n’ai rien pu me débrouiller par mon travail, je faisais des routes. Une fois par semaine, on avait un supplément. Une petite tranche de saucisson, une sorte de boudin ou une cuillère de marmelade de betterave. Des camarades hurlent qu’on a jamais eu ça. Je n’y ai jamais touché. Il y avait un hôpital avec un accord de la cheffe de la baraque, le docteur décidait si tu étais malade. Si elle (la personne déportée) était de son pays, il la prenait dans l’hosto. Sinon (si le médecin avait hospitalisé trop facilement) le médecin aurait été viré et envoyé dans les commandos. Après l’hosto, il y avait un bloc de convalescence, on m’avait donné la combine. La tranche de saucisson, je leur donnais et je prenais leur nourriture : des pommes de terre vapeur, c’était tellement cuit, il n’y avait que des épluchures. C’était mon gueuleton. 

Un élève : Gardez-vous des contacts avec les autres déportées ?

Ginette Kolinka et une professeur (23 janvier 2024)

Ginette Kolinka : Je n’ai aucun souvenir avec les déportées dans le camp. Nous étions six dans le fond, (je n’ai) aucun souvenir d’elles. En prison à Paris, celles-là, je m’en rappelle. Je les ai retrouvées après la guerre. Il y en avait qu’une : Marceline Loridan, on était toujours ensemble depuis l’arrestation à Avignon, dans les mêmes lieux. Elle avait quinze ans, j’en avais dix-neuf. 

Un élève : Avez-vous réussi à résister dans le camp ? 

Ginette Kolinka : Ben oui, puisque je suis là ! On me met sur le dos : tu as eu de la volonté, du courage… J’étais un robot. Mon cerveau travaillait pas. Une brouette, une pelle, l’outil me disait ce que j’allais faire. Longtemps après, chez des amis (déportés), on demande : qu’est-ce que tu faisais (dans le camp) ? La Weberei, l’autre détenue, elle faisait des bandes de tissus. Il  y avait des hommes qui travaillaient dans les bijoux. Des femmes qui ont travaillé dans la couture. Je l’ai appris très tard (cette diversité des travaux dans le camp). 

Un élève : Quand avez-vous décidé de commencer à témoigner ? 

Ginette Kolinka : L’amicale d’Auschwitz, je m’y suis inscrite dès les premiers jours, mais je n’y ai jamais été. J’ai fait les marchés (Ginette Kolinka a tenu avec son mari un étal de bonneterie sur un marché d’Aubervilliers pendant quarante ans), le samedi et le dimanche, ce sont les meilleurs jours (de marché), donc j’allais pas aux réunions. J’ai recommencé à y aller à la retraite. Mon mari a été prisonnier de guerre, on a jamais parlé de la guerre, ce que nous avons vécu. Mon mari meurt… Un magasin dans mon quartier, le bureau de l’association… j’aime pas déranger, je rentre. Quelques femmes devant un gâteau, elles lèvent même pas la tête, mais les deux femmes qui organisaient tellement gentillement… tous les jeudi, j’étais là (aux réunions). Un membre de l’association emmenait des élèves à Birkenau et la femme (qui devait témoigner) est malade. Dans l’avion, on parle pas, on raconte pas. Et dans le bus (qui emmène le groupe à Auschwitz-Birkenau) : « C’est à toi, Ginette ». J’avais été écouter des témoignages. C’est pas sorcier, le témoin raconte sa vie. J’ai eu peur d’arriver à Birkenau. Je me voyais m’écrouler en larmes. J’entre (à Birkenau) et je me dis, mais c’est pas ça. Dans le camp, c’était la foule, la saleté, des brouettes, des gens battus. Là, pas du tout, un calme complet. J’ai jamais reconnu Birkenau. 

Un élève : Est-ce que vous avez des images qui vous reviennent ?

Ginette Kolinka : J’ai des documents qu’un prof a pris, des photos de moi. Oui ça, je garde. Je vis le présent. Je ne suis pas dans le passé. J’ai eu de la chance de rentrer. Non, je ne parle pas. Je ne suis pas toujours dans les camps. Je raconte tous les jours. 

Un élève : Avez-vous été dans un ghetto ? 

Ginette Kolinka : C’était en Pologne, les ghettos. Moi, j’étais à Drancy. Je ne connais pas les ghettos comme en Pologne. J’ai pas connu ça. A Drancy, il n’y avait que des juifs. Les ghettos c’était pour les juifs en Pologne. A Drancy, on était des prisonniers. 

Jacinthe Hirsch, notre présidente, précise que le mot « ghetto » est un terme d’origine italienne qui date du moyen-âge et désignait des quartiers habités pas des juifs. Pendant la seconde guerre mondiale, les ghettos étaient des lieux dans lesquels les juifs ont été enfermés de force. Certains ghettos se sont soulevés, comme le ghetto de Varsovie qui s’est soulevé en avril 1943.

Un élève s’adressant à Stéphan Moszkowicz, le réalisateur du film : Il y a peu de pleurs dans votre documentaire, les élèves ne pleurent pas. Les survivants ne pleurent pas non plus.

Stéphan Moszkowicz : Quel est ton prénom ? 

L’élève se prénomme. 

Stéphan Moszkowicz : La caméra ne peut pas être partout, mais les élèves qui ont fait ce voyage en Pologne, à Auschwitz-Birkenau et au camp de Maïdanek, ont pleuré…

Ginette Kolinka : Nous ne pleurions pas. Nous étions mal nourris, le cerveau fonctionne moins bien, on ne pensait à rien. C’était notre chance. Celles qui ont essayé de comprendre, elles ne sont plus là. Même quand on était frappé, on ne pleurait pas. Pleurer, c’est avoir des sentiments et on en avait plus. Je me demande comment une mère a pu vivre avec sa fille. On bat ta mère ou ta fille, et on ne peut pas s’interposer… Après, on accepte tout. Je n’ai jamais vu une mère donner une partie de sa ration à sa fille ou l’inverse. 

Un élève : Avez-vous perdu foi en l’humanité ? 

Ginette Kolinka : Je ne me suis jamais posée autant de questions. 

Un élève : Comment et par qui avez-vous été libérée ? 

Ginette Kolinka : J’ai été libérée par les Russes à Theresienstadt. Les Russes m’ont soignée. J’ai pas été mal soignée puisque je suis là. Ne dites pas que c’est exagéré la haine des nazis envers les juifs C’était tel que ça s’est passé. Au début, dans mon groupe, j’ai vu que de l’humiliation. 

Un élève : Est-ce qu’il y a eu des suicides ? 

Ginette Kolinka : Tout le camp était entouré de fil de fer électrifié, moi je n’en ai jamais vu alors qu’il y aurait pu. 

Un élève : Avez-vous pensé à vous évader ? 

Ginette Kolinka : C’était pas possible. Quand on est descendu des trains, il y avait rien. Des kilomètres à la ronde, il y avait rien. Nous, on part à pied à travers champ… La Pologne a vendu des terrains où il y a eu des milliers d’enfants qui ont été choisis pour la mort. Et il y a maintenant des toboggans et des maisons construites. 

Un élève : Si vous aviez une blessure grave, était-ce la fin ? 

Ginette Kolinka : Certainement. Il y avait un Revier (infirmerie). On pouvait y aller, mais on avait peur, car il y avait tous les jours la sélection. Les malades étaient très contagieuses. Dans les paillasses, il y avait la dysenterie, la colique, vous receviez tout. Ça paraît impossible, mais c’est vrai. Je continue à me poser la question. Est-ce qu’on avait une culotte. Comment on l’aurait lavée, séchée ? Donc certainement, on avait pas de culotte. Quand on va aux toilettes, on y va par centaines… Moi, je trouve pas de réponse. Certainement, on était très très sales. Et j’ai plus d’amies (les amies de déportation de Ginette Kolinka, Simone Veil et Marceline Loridan-Ivens notamment, sont décédées récemment).

Un élève : Que pensez-vous des films sur la Shoah ? 

Ginette Kolinka : Il y en a pas tellement. Un film que je déteste : « la vie est belle » (de Roberto Benigni). Comment un cinéaste a eu l’idée de faire… Il a dit que c’est une fiction. Et vous voyez un film avec des choses absurdes. Qu’est-ce que c’est qu’un film comme ça ? Croyant bien faire, il nous enfonce. 

Un élève : Avez-vous retrouver vos règles après les camps ? 

Ginette Kolinka : ça a été un problème. Ça a été très long à revenir. A cinquante kilos, à quatre vingt dix kilos, après les règles sont revenues. 

Un élève : Comment dormiez-vous dans le camp ? 

Ginette Kolinka : La première nuit, je rentre dans cette Koya, pas de drap, avec des gens que je connais pas. J’ai dormi. A 3h30-4h00 du matin, réveil… J’ai toujours bien dormi. Je cachais toujours un peu de nourriture. Pas d’armoire, les chaussures sous ma tête, je cachais une ration de pain. Combien de fois, il avait disparu. 

Un élève : Quand vous dites « j’ai plus de sentiments », pouvez-vous nous expliquer ? 

Ginette Kolinka : Cela date du camp. Quand je voyais des SDF… nos enfants, on les a tués. La Croix Rouge distribue de la nourriture (aux SDF). Je suis toujours à ramener à moi, à nous, et donc je plains personne et ça m’ennuie d’être comme ça. 

Un élève : Qu’est-ce qui était le plus horrible ? 

Ginette Kolinka : Tout était horrible. Les coups, la sélection…toi tu vas mourir, toi tu vas vivre. Personne n’est sortie des chambres à gaz. Les Sonderkommando, le groupe chargé de faire entrer les gens (dans la chambre à gaz), quand la mort avait fait son travail… J’ai rencontré un Monsieur, un Italien (membre d’un Sonderkommando)… Ils ont reconstitué une chambre à gaz. Vingt-cinq minutes pour mourir. J’efface tout de suite les images. C’est moi qui les ai envoyés à la mort, les miens. (Ginette Kolinka a dit à son père et son frère, épuisés par le transport de trois jours et trois nuits depuis Drancy, de monter se reposer dans les camions à l’arrivée à Auschwitz-Birkenau. Ils n’ont pas été sélectionnés pour le travail et ont été gazés dès leur arrivée au camp). 

Un élève : Est-ce que vous savez qui vous a dénoncé ? 

Ginette Kolinka : Nous, on a jamais su qui nous avait dénoncé. C’est pénible de ne pas savoir. 

Un élève : Pourquoi venez-vous témoigner, quel est votre objectif ? 

Ginette Kolinka : Pourquoi ? Ne me demandez pas pourquoi. Je veux pas que vous me plaigniez. Je veux que vous vous rappeliez de la cause. Tout ce qui est arrivé, c’est la haine. La haine est le départ de l’horreur. 

La salle est très émue et silencieuse.

Ginette Kolinka dédicaçant son livre (23 janvier 2024)

Certaines classes doivent repartir. Les élèves et leur professeurs remercient Ginette Kolinka.

D’autres élèves et leurs professeurs restent encore dans la salle du Silencio des Prés. 

Les élèves et leurs professeurs se font dédicacer par Ginette Kolinka l’un des livres qu’elle a écrit.

Rose Lallier

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