L’Amendement Hypocrite par Bernard Jouanneau

Après l’Assemblée nationale au mois de juillet, le Sénat vient d’adopter, à une courte majorité (10 voix) l’amendement à la loi « Egalité – citoyenneté » qui devrait permettre la poursuite de la négation de tous les génocides et des crimes contre l’humanité, court-circuitant ainsi le texte de la proposition de loi de Valérie BOYER qui tendait aux mêmes fins et qui a été renvoyé en commission le 4 décembre 2015.

Il ne concernait pas que le génocide arménien ; mais c’est bien de celui-ci qu’il s’agissait, inspiré ou suggéré par François Hollande qui en avait fait la promesse, après la consultation qu’il a demandée au président COSTA (l’ancien président français de la CEDH), il semble avoir été propulsé par la gauche et soutenu par une partie des sénateurs de la droite et du centre.

Quoiqu’il en soit ce n’est qu’un leurre destiné à satisfaire les Arméniens et à rassurer en même temps les Turcs, en renvoyant aux juges le soin de reconnaître chez les négationnistes du génocide arménien ceux qui se laissent inspirer par la haine de ceux qui entendent disposer seulement de leur liberté d’expression sur la question.

Pour comprendre la manœuvre politique et diplomatique, il faut se souvenir que pour le Conseil constitutionnel comme pour la CEDH, la négation de la Shoah peut être poursuivie parce qu’elle comporte implicitement un appel ou une provocation à l’antisémitisme, alors que la négation du génocide arménien qui remonte à 1915 ne présente pas intrinsèquement et partout le même risque d’entretenir chez les Turcs et leurs proches la haine envers les Arméniens (cf. arrêt du Conseil constitutionnel du 12 février 2012 ; CEDH du 15 octobre 2015 dans l’affaire PERINCEQ ; et CC du 8 janvier 2016 dans l’affaire Peyron).

On a eu beau s’interroger sur le principe d’égalité entre les victimes, en se demandant pourquoi, à trente ans de distance entre 1915 et 1945 les deux génocides qui ont marqué le siècle ne devraient pas être traités de la même manière, rien n’y a fait : dernier cadeau de Jean-Louis DEBRE en quittant le Conseil constitutionnel au mois de janvier 2016 : l’arrêt du 8 janvier 2016 a rejeté la QPC qui soulevait ce moyen de l’égalité visant la loi Gayssot.

Lorsque Valérie BOYER, au nom de l’UMP a déposé son second projet de loi venu en discussion le 4 déc. dernier, la gauche n’était pas prête. Elle voulait surtout réserver à François HOLLANDE le privilège de tenir ses promesses, en faisant à temps déposer cet amendement au Sénat, après l’avoir fait voter au mois de juillet à l’Assemblée, sans qu’on s’en aperçoive.

Entre temps, le président ERDOGAN a changé de Premier ministre et a repris la main, en imposant au mois de mars son accord avec l’UE au sujet des migrants. La tentative de coup d’Etat a été enrayée et les relations avec la Turquie se sont apaisées, sans pour autant que son entrée dans l’Union soit remise à l’ordre du jour. Il n’est pas jusqu’aux Arméniens eux-mêmes qui s’en soient contentés et pour certains félicités, sans se rendre compte que ce larguage dont ils venaient d’être victimes était un jeu de dupes.

Si le texte émanant du Sénat est accepté par la commission mixte paritaire et adopté en seconde lecture par l’Assemblée nationale avant les élections, François Hollande pourra dire qu’il a tenu ses promesses, grillant ainsi la politesse à Nicolas SARKOZY qui l’avait aussi promis en 2012. Il n’y a pas que les Arméniens qui seront floués. Les négationnistes l’emporteront.

Il leur suffira désormais prouver que la négation de ce génocide n’est que le résultat des recherches et des travaux entrepris de bonne foi par les historiens prompts à revendiquer leur liberté d’expression et en aucune façon une agression contre les Arméniens d’aujourd’hui, pour obtenir la relaxe et faire que ce texte reste lettre morte. Certains seront condamnés : Il y a parmi eux quelques fanatiques excités qui se feront prendre ; mais dans le principe, la contestation, la minimisation grossière ou la remise en question systématique du génocide de 1915 ne sera pas retenue par les juges qui se refusent à « écrire l’histoire » et à s’immiscer dans la liberté de la recherche.

Il n’en sera pas de même pour les tutsis, les Cambodgiens et les Yougoslaves dans la mesure où les génocides dont ils ont été victimes ont été reconnus par des décisions de justice nationales et/ou internationales.

Mais comme la communauté internationale qui s’en était avisé au mois de juillet 1915, par la déclaration des alliés, n’a pas donné suite au traité de Sèvres de 1920 et s’est inclinée à Lausanne en 1923 devant les exigences de Kemal ATATÜRK devenu président de la République turque, en abandonnant son projet de juridiction internationale annoncée par les alliés, ce n’est pas au nom de la communauté des nations (à l’époque de la SDN) que les cours martiales de la Sublime Porte se sont prononcées en 1919 en condamnant les responsables du génocide, ministres et dirigeant du parti Union et Progrès des jeunes turcs.

On le savait quand on a fait voter ce texte hypocrite.

Mais l’intérêt stratégique et diplomatique a pris le dessus. On avait besoin des Turcs pour enrayer l’afflux des migrants en mer Egée. C’est Angela MERKEL qui a trouvé la solution en imposant à ses partenaires européens l’accord du 18 mars 2016 qui a fermé la route des Balkans aux réfugiés Syriens, Soudanais, Afghans, Erythréens, Ethiopiens et Azerbaïdjanais qui se sont repliés vers la Libye, et en faisant adopter au Bundestag une loi reconnaissant le génocide arménien.

François Hollande s’en est accommodé. Pour lui, la page était tournée ; il allait pouvoir soutenir qu’il avait tenu ses promesses, même si l’Assemblée nationale renâclait.

Il y a bien d’autres amendements dans cette loi « Egalité – Citoyenneté » qui vont donner lieu à discussion ; ne serait-ce que tous ceux qui ont gravement altéré la loi de 1881 sur liberté de la presse.

Mais celui-ci devrait pouvoir être déjoué assez simplement. Comment ?

Dès lors qu’il est impossible de se référer à des décisions rendues par une juridiction internationale qui ait ou qui puisse condamner le génocide arménien et que par ailleurs la reconnaissance légale de ce génocide par les parlements étrangers et par le parlement français en particulier (loi du 29 janvier 2001) risque d’être jugée inconstitutionnelle comme étant une loi mémorielle, il faut trouver la voix de droit qui permette de retenir le génocide arménien pour acquis.

La reconnaissance par l’Etat qui s’en est rendu coupable doit pouvoir être retenu comme preuve. Alors qu’à Nuremberg, on n’a pas formellement retenu contre les nazis le crime de génocide qui n’existait pas, il est aujourd’hui communément admis que les dirigeants nazis se sont bien rendus coupables de génocide envers les juifs et les tziganes, dans le cadre de la « solution finale ».  L’Allemagne l’a reconnu en acceptant de prendre part aux réparations des préjudices subis par les survivants et par les héritiers des victimes de la Shoah. Contrairement à ce qu’on entend répété de toutes part, ce n’est pas le jugement de Nuremberg qui a reconnu le génocide juif, c’est l’Allemagne.

Le fait que la Turquie d’aujourd’hui, tout en reconnaissant les massacres de 1915, n’admette pas qu’il s’agisse d’un génocide, n’empêche pas de considérer que l’Etat turc, avant la République d’Atatürk l’a incarné à partir de 1923 et l’a reconnu du temps de l’Empire Ottoman qui a survécu jusque là. En décidant et en organisant des poursuites contre les dirigeants d’UNION et PROGRES contre les anciens ministres en exil, le pouvoir en place qui représentait légalement et légitimement l’Etat Turc, la Turquie a reconnu qu’il s’agissait d’un génocide, en tous cas de crimes contre l’humanité (Cf. Jugement à Istanbul de Tanner AKCAM).

Le principe universel de la continuité de l’Etat met à la charge de l’Etat qui subsiste, les droits et obligations qui pesaient sur sa représentation en place au moment des faits.

On peut donc admettre que la négation du génocide arménien soit poursuivie dès lors que ce génocide a été reconnu par l’Etat turc existant et en place à l’époque, sans que sa négation ultérieure fasse disparaitre cette reconnaissance

Il suffirait donc d’ajouter dans le texte de cet amendement :

«  Ou lorsqu’il aura été reconnu par l’Etat qui s’en sera rendu responsable » 

Pour que l’amendement voté ait un sens.

Bernard JOUANNEAU

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