Paru dans le Journal de Janvier 2010
L’annonce de la future béatification de Pie XII prend les allures d’une véritable provocation et pas seulement à l’égard des juifs qui ne peuvent oublier ni pardonner la sourde indifférence et le silence de la papauté pendant le règne du IIIème Reich.
Que les juifs ressentent douloureusement ce rappel n’a rien que de très naturel, même si on leur laisse entendre que le Pape a eu le courage de dénoncer “ l’extermination progressive touchant des centaines de milliers de personnes innocentes pour des raisons de nationalité et de race” (message de Noël 1942) et on ne voit guère à quelle préoccupation immédiate le Saint Siège a pu vouloir répondre en annonçant urbi et orbi l’intention de Sa Sainteté Benoît XVI de promouvoir son illustre prédecesseur dans l’ordre de la sainteté. Pas plus qu’on a compris pourquoi il fallait faire réintégrer à la communauté ecclésiastique Mgr Williamson qui n’a toujours pas renoncé à ses propos négationnistes.
Les réactions de l’Etat d’Israël qui consistent à demander l’ouverture des archives du Vatican pour en avoir le coeur net, ont même quelque chose de trop diplomatique pour nous rassurer. L’humanité toute entière est interpellée par une telle décision et pas les historiens, ni les chancelleries.
C’est en vérité le silence des catholiques eux mêmes qui a quelque chose de choquant. Sitôt connue la décision du Pape de relancer le processus de béatification engagé par l’Eglise catholique en 1967, le prélat Mgr Vingt-Trois fustigeait la réaction de ceux qui “veulent se payer le Pape”. La réponse du prélat qui refuse de se prononcer sur le fond en déclarant qu’“il n’est pas historien” me rappelle celle de J. M. Le Pen à la question qui lui était posée sur l’existence des chambres à gaz. Pour justifier son fameux “point de détail”, il avait d’abord répondu qu’il n’était pas historien et ne pouvait se prononcer sur le fond et qu“il n’avait pas pu lui-même en voir”… Comme si les archives du Vatican précieusement gardées allaient soudainement révéler leur secret; alors que si elles contenaient la preuve d’une réaction off icielle et publique du Vatican à la mise en oeuvre de la “solution finale”, elles auraient déjà été divulguées.
Quoiqu’elles puissent révéler sur les démarches pontificales en faveur des juifs italiens menacés (dont il est largement fait mention dans “Le Vicaire” ou dans ”Amen” de Costa Gavras) elles n’ajouteront rien aux déclarations publiques du Saint Siège entre 1939 et 1944.
Que le Pape se soit comporté comme “un Juste” oeuvrant dans l’ombre, voire dans le secret en faveur des juifs réfugiés à l’intérieur des couvents, relève de la simple humanité, avec cette nuance que “Sa Sainteté” n’était exposé à aucun risque de rétorsion.
Alors que ce que le monde entier était en droit d’attendre était une dénonciation officielle et solennelle de l’exterminaton en marche dont le Vatican avait été informé, chacun s’accorde à reconnaître que cette dénonciation n’eut jamais lieu (pas plus que celle du Président Roosevelt pourtant lui aussi dûment informé) mais il n’est pas question de décerner fut-ce à titre posthume au président F. Delano Roosevelt le prix Nobel de la Paix. Et même Mgr Vingt-Trois qui monte au créneau pour défendre le pape ne se fait pas d’illusion lorsqu’il déclare “je ne pense pas que l’accès intégral aux archives du Vatican permettra de dissiper la polémique et le malaise qui entourent cette attitude de Pie XII pendant la guerre”. Ce sont les raisons de ce silence qui nous interpellent. Elles sont parfaitement connues. “ Toute parole de notre part à l’autorité compétente, toute allusion publique doivent être sérieusement pesées et mesurées dans l’intérêt des victimes afin de ne pas rendre leur situation plus grave et plus insupportable”. Qu’y avait-il de plus grave à craindre que la déportation et l’extermination?
Le Pape était probablement à l’époque le seul à pouvoir dénoncer au monde le génocide en cours d’accomplissement. Il ne l’a pas fait et le génocide s’est accompli. Pourquoi faudrait-il aujourd’hui le “béatifier”? Est-ce pour la même raison que celle qui a conduit le nouvel hôte du Vatican à faire rentrer en grâce Mgr Williamson? De lui au moins on pouvait espérer qu’il se rétracte. De Pie XII, il n’y a plus rien à attendre.
Quitte à béatifier quelqu’un pour la réaction salutaire et bienfaisante qu’il a eue à l’encontre du nazisme, je suggère à Benoît XVI de choisir plutôt Sir Charlie Chaplin pour le discours d’Hinckel à la fin du “Dictateur” : “J’aimerai aider tout le monde juifs, chrétiens, noirs, blancs… ma voix atteint des millions d’hommes et femmes qui désespèrent, qui souffrent d’un système qui contraint à torturer et à exterminer des innocents… La haine passera, les dictateurs mourront. Soldats n’obéissez pas à des brutes qui vous oppriment, vous méprisent et vous dictent vos actes et vos pensées…. Si Saint-Luc écrit “le royaume de Dieu est en l’homme, non pas un homme, pas un groupe d’hommes. En tous les hommes ! en vous!”
— Bernard Jouanneau