La mémoire, dignement… à propos du Roman « Missak » de Didier Daeninckx

La Chronique de René Dzagoyan dans PacaInfoEco :

A l’heure où la Saison de la Turquie bat son plein, commence en France la Saison Manouchian, comme si le monde de l’Art répondait au monde de la politique, pour lui rappeler que la France qui célèbre aujourd’hui la Turquie doit aussi sa liberté à ceux que la Turquie a voulu exterminer. L’Art honore l’Armée du Crime pendant que la Politique honore le crime d’une armée. En appui au film de Robert Guédiguian, les éditions Perrin publie « Missak », un roman de Didier Daeninckx.

L’homme est connu pour être un partisan, au sens de Joseph Kessel et Maurice Druon dans le chant du même nom. Ancien du Parti Communiste, sympathisant des Brigades Rouges, il s’est battu, entre autres, pour la liberté des Kanaks, contre les expulsions des Maliens, pour la réhabilitation de la mémoire algérienne et contre l’antisémitisme. C’est lui qui, en 2002, fait condamner le faurissonien Serge Thion et est attaqué en justice par Jirinovski pour son livre-réquisitoire. Convaincu qu’« en oubliant le passé, on se condamne à le revivre », dit Wikipedia, Didier Daeninckx s’attache au problème de la mémoire historique en dénonçant avec obstination ce qu’il considère comme relevant du négationnisme ». Bienvenu au club.

Pourtant, « Missak », son dernier roman, ne s’inscrit pas dans cette lignée de dénonciations, bien que, par touches pointilliste, la tentation soit omniprésente. L’histoire est simple. En 1951, le Parti Communiste décide d’inaugurer une « Rue du Groupe Manouchian » dans le 20ème arrondissement de Paris. Des rumeurs circulent selon lesquelles le PC aurait été pour quelque chose dans l’arrestation des résistants MOI. Louis Draguère, un journaliste de l’Humanité, est chargé de recueillir des informations pour déjouer ces rumeurs. Commence alors un long périple où le journaliste rencontre ceux qui ont connu le héros de l’Affiche Rouge, ceux qui l’ont aidé, ceux qui l’ont accompagné dans le combat. Parmi eux, Knar et Misha Aznavourian, parents du Grand Charles, auquel Missak avait prédit la gloire, Henry Karayan et Arsène Tchakarian (nom de code Charles), qui, malgré (ou à cause de) leur héroïsme vrai, ne croulent pas sous les médailles, Armène Assadourian, sœur de Méliné, qui vit alors en Arménie. Autour d’eux, le monde des Arméniens de l’obscur, artisans qui, dans leur arrière-boutique, après deux ourlets ou deux semelles en cuir, cousaient sans le savoir l’histoire de la France.

Entre deux rencontres, passent Jacques Duclos, substitut de Maurice Thorez mourant, Henri Krasucki, dont émerge la figure d’organisateur de la résistance juive à Paris, Charles Tillon, précurseur de la résistance aux Nazis, Aragon poète dandy qui roule en voiture de luxe. En creux, celui qui a trahi et qu’on ne voit jamais, Joseph Davidovitch, qui a parlé pour éviter la torture de sa femme. Au-dessus de toutes ces mémoires silencieuses, Missak Manouchian, figure emblématique dont le nom, en ces années-là, entraient peu à peu dans l’amnésie française. Bien des années plus tard, devant le Panthéon, lui et ses compagnons, absents de la mémoire de Malraux seront exclus du « terrible cortège de ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé ».

Exclus de la mémoire de quelques uns des siens aussi, il faut le dire. Mais tout comme le film de Guédiguian, le roman de Daeninckx est là pour nous rappeler que l’Art est aussi fait pour rappeler à la mémoire des simples ce que les politiques ou pseudo tels veulent lui faire oublier. Sans le savoir, ils accomplissent l’un des derniers souhaits de Manouchian dans sa lettre à Méliné : « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement. ». C’est fait et ce n’est pas fini.

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