
Les héritiers
Séance du 13 octobre 2020
Thème : Education – transmission
Débattrice : Anne Anglès
Un film basé sur une histoire vraie : dans un lycée de Créteil, en 2008, une professeure d’histoire propose à une classe réputée dure de s’inscrire au Concours National de la Résistance et de la Déportation. Le thème de l’année : Les enfants et les adolescents dans le système concentrationnaire nazi.
La classe rejette d’abord cette proposition “encore parler des juifs, toujours ! Et puis on est nuls, on n’y arrivera pas.” Pourtant parce que leur professeure croit en eux, puis grâce à la rencontre avec un ancien déporté et au travail collectif durant toute l’année, la cohésion se fait et le travail commun aboutit à un prix.
C’était notre première séance au cinéma Beauregard depuis le confinement du 15 mars 2020. La salle n’a pas rouvert mais nous avons été chaleureusement accueillis par Yann, le projectionniste, très impliqué dans notre action et vigilant sur les mesures barrière. Des applaudissements ont salué la fin du film et l’arrivée d’Anne Anglès, l’enseignante qui a inspiré le rôle d’Ariane Ascaride dans le film.
Aux questions des élèves, Anne Anglès a répondu avec simplicité et empathie :
– Y a-t-il vraiment eu une rencontre avec un ancien déporté ?
-Oui, et Léon Zygel, que j’ai revu après, était très inquiet après les attentats de 2015, il recommandait de continuer à transmettre la mémoire.
– La classe a-t-elle vraiment gagné le concours ?
– Oui, le premier prix, en 2009.
Pour une histoire aussi encourageante sur la réussite d’une classe qui se vit comme nulle, la question de la vérité du récit est importante.
Un élève, croyant parler à la réalisatrice, demande à Anne Anglès comment elle a fait le film. Elle explique. C’est grâce à Ahmed Dramé, qui interprète le rôle de Malik, que le projet est né, sans que Anne Anglès n’y soit pour rien. C’est lui qui en a parlé à la réalisatrice, et le film est paru en 2014. – Était-ce vraiment une classe catastrophe ?
-C’est comme ça qu’Ahmed voyait sa classe. Les élèves n’écrivaient pas très bien, mais étaient intéressés en histoire géographie. Certaines personnalités étaient très fortes, par exemple celle qui joue Mélanie.
Un élève, choqué par les chahuts dans cette classe, interroge :
-Pourquoi y avait-t-il le bazar dans vos classes ?
-Pendant mes cours, il n’y avait pas le bazar. Quand les élèves entrent en 6ème, ils ont tous envie de réussir. Mais ils ne réussissent pas comme ils voudraient, et beaucoup décrochent en 4ème. Ça bascule, c’est une vraie question… Les contestations des ados sont des rébellions liées à cette tranche d’âge. Mais ces rébellions, soit sont constructives, soit leur nuisent. Quand les élèves ont l’impression qu’ils peuvent choisir ce qu’ils voudraient faire et que chacun a sa place alors ce n’est pas le bazar. Les élèves qui sont violents sont aussi confrontés à la violence quotidienne.
-Tous les élèves ont-ils un souci en dehors du collège ?
-L’adolescence est l’âge des soucis. Oui, parfois des parents divorcent, il faut remplir le frigo, il y a le chômage, la violence dans le couple. Votre monde est un monde dur, les mamans partent très tôt le matin et rentrent tard le soir. Il y a plus de problèmes aujourd’hui qu’il y a 50 ans.
Anne Anglès évoque aussi le témoignage de Léon Zygel, combien cette rencontre avec un ancien déporté a marqué les élèves. Il avait rappelé que chacun attend d’être respecté, il faut mériter d’être respecté et ne jamais se laisser retirer sa dignité, ne jamais tolérer aucune insulte sur les origines.
-Les droits de l’homme, est-ce respecté ?
-Ce n’est pas respecté partout, il faut se battre pour la liberté de conscience, d’être éduqué, se battre contre les discriminations, la torture et la peine de mort. Par exemple, on massacre, en Chine, les Ouïghours, mais il y a aussi des entorses en France.
Une dernière question : – qu’est devenu Ahmed Dramé, est-il toujours comédien ? Oui, il est actuellement sur un tournage au Sénégal. Sa carrière continue, sinon il aurait pu être là avec vous.
La séance touchait à sa fin. Les classes sont reparties en laissant la salle impeccable. Les professeurs sont venus remercier Anne Anglès d’être venue animer la séance, après ce film très fort, dont elle est l’inspiratrice.
Fracas de l’actualité, trois jours plus tard l’enseignant d’histoire Samuel Paty se fait odieusement assassiner par décapitation, pour avoir présenté des caricatures de Mahomet en classe.
D’innombrables questions nous submergent. Que n’avons-nous pas vu ? La société saura-t-elle rester unie face à cette menace portée au cœur de l’institution qui fonde les liens communs des citoyens ?
Elisabeth Roth-Jacques