Notre numéro de janvier n’est pas paru. Il s’agit de sortir du silence. Etions-nous paralysés par la fermeture des salles de cinéma et l’obligation de renoncer à nos séances devant les élèves ? Ou dans l’effroi devant la décapitation du professeur Samuel Paty par un islamiste, la veille des vacances de la toussaint ? “La portée symbolique de ce crime est énorme. Par l’acte terrifiant de la décapitation bien sûr, mais aussi parce que, l’école, c’est notre tête à tous” a écrit Fethi Ben Slama dans Télérama, après l’attentat.
Six mois après cet acte monstrueux, les professeurs continuent à faire cours avec toutes les difficultés liées à la pandémie qui se prolonge un an après le premier confinement. Tenir sur le respect des gestes barrières, assurer les cours en présence et avec masque dans les collèges et en partie à distance dans les lycées. Sorties dans les lieux culturels annulées, projets suspendus. Les conditions d’exercice des enseignants sont de plus en plus lourdes avec en arrière-plan, l’image insoutenable de leur collègue décapité.
Notre numéro d’octobre rendait compte du procès des attentats de janvier 2015. Ce procès a donné lieu à une première réplique, devant les anciens locaux de Charlie, le mobile étant la volonté de “punir les défenseurs du blasphème.” Puis le 16 octobre, survient l’attentat contre Samuel Paty. Les circonstances sont maintenant établies, le mensonge de l’élève devant son père à propos du cours auquel elle n’a pas assisté et l’emballement sur les réseaux sociaux qui conduit le terroriste à commettre ce geste atroce en se croyant le vengeur du divin outragé, comme les frères Kouachi dans les locaux de Charlie. Nous reprenons en page intérieure une tribune parue en novembre sur la question des caricatures devenues le symbole des valeurs de la République française.
Aujourd’hui, en mars 21, après le confinement strict du 16 mars au 10 mai 2020, la priorité est de maintenir les cours. Le nouveau confinement prévoit que les écoles et collèges restent ouverts et que les lycées fonctionnent tous en demi-jauge. L’ouverture des écoles est indispensable sur le plan de la santé mentale et des apprentissages. Des études en épidémiologie ont aussi prouvé que l’école n’est pas un accélérateur des contaminations. Enfin, il apparait que le premier confinement a accentué le fossé creusé avec les populations les plus précaires, il faut éviter que cela se reproduise. Les enseignants se retrouvent donc avec deux injonctions : continuer à faire cours, coûte que coûte et être les garants de la laïcité menacée par le terrorisme. Le débat sur la laïcité est aussi ancien que la loi de 1905, mais il se ravive après les attaques terroristes et les peurs qu’elles imposent. La pédagogie est délicate car les convictions religieuses familiales peuvent entrer en conflit avec le discours sur la laïcité. Il s’agit d’interroger les aprioris : non, la laïcité n’est pas un athéisme d’Etat ou une hostilité à la religion, chacun a le droit de croire ou de ne pas croire ainsi que le définit l’article 1 de la loi de 1905. Mais il faudra beaucoup de pédagogie et de distance pour faire passer le message sans réveiller les crispations.
Et comme si cela ne suffisait pas, une nouvelle inquiétude frappe les établissements, le harcèlement scolaire. La mort d’Alisha Khalid, à Argenteuil, frappée puis jetée dans la Seine par une fille et un garçon de sa classe de 3ème a dramatiquement mis en lumière ce phénomène. Le harcèlement fait partie de la vie des collèges. C’est un phénomène de groupe propre à l’adolescence : pour avoir des copains et échapper au risque d’être harcelé, il est plus simple de faire partie du groupe des harceleurs et puis il suffit de se dire que c’est pour rire. Depuis plus de dix ans, le harcèlement sort des murs de l’école et se diffuse en ligne. Un collégien sur vingt est victime de cyberharcèlement. La France a tardé à prendre la mesure du phénomène et à proposer des réponses. Deux numéros verts ont été mis en place. Des formations sont proposées aux enseignants, à la demande des établissements. C’est encore trop peu. Le dispositif Sentinelles et Référents est testé cette année dans 300 établissements. L’objectif : casser la dynamique de groupe. Le harcèlement, c’est 10%, de victimes, 10% d’auteurs et 80% de témoins. On ne peut pas combattre cette situation si on ne combat pas les trois postures en même temps.” selon Éric Verdier*, psychothérapeute communautaire qui travaille depuis dix ans sur ce dispositif inspiré du Québec. Dans ces établissements, dix élèves et six adultes volontaires sont formés pendant quatre jours, les élèves seront les sentinelles, les adultes seront les référents. L’essentiel du travail consiste à casser le triangle de l’abus : un auteur, une victime et des spectateurs. Il s’agit d’abord de protéger la victime et de faire prendre conscience au groupe du poids de son attitude dans le phénomène. Ensuite, si le harcèlement persiste, les adultes s’adressent à l’harceleur. On sait que dans les établissements difficiles où le climat scolaire est dégradé, les cas de harcèlement sont en progression constante. Un programme anti-harcèlement “clé en main” devrait être étendu à toutes les académies à la prochaine rentrée. Espérons que ce programme se traduira autrement qu’en vœux pieux.
Dans ce reconfinement qui ne dit pas son nom et cette incertitude sur l’avenir qui joue les prolongations, toutes nos pensées vont vers notre public, élèves et professeurs que nous souhaitons retrouver enfin à la rentrée de septembre pour de nouvelles séances.
Jacinthe Hirsch
- “Violence et justice restauratrice” Éric Verdier et Max Tchung-Ming. Recueil de témoignages qui propose des outils concrets.