
Comme le rapporte l’historien britannique Cunningham: « La situation est dominante et avant l’utilisation du canon, la hauteur à elle seule du fronton de la ville devait avoir fait de Kannauj une forteresse puissante et impressionnante ». Kannauj avait été la capitale du nord de l’Inde au 7ème siècle de notre ère (à l’époque de l’empereur Harsha) et était demeurée depuis un centre culturel, spirituel, artistique et économique majeur, et même une pomme de discorde entre les trois principales dynasties indiennes: les Pala, les Rashtrakuta et les Gurjara-Pratihara.
En fait, le sultan venait dans cette ancienne ville impériale à la recherche d’artistes et d’artisans, dont il avait besoin pour élever sa capitale locale Ghaznī au Zaboulistan au rang de plus belle ville du monde. Auparavant il avait seulement pillé les petits royaumes voisins pour des biens matériels mais après 1010 il change: apparemment la visite du poète Abdul Qasim Firdousi à sa cour en 1010 a modifié sa conception, puisqu’il se décide à plonger au cœur de l’Inde pour y capturer des artisans et des artistes de haut niveau.
Le 21 décembre 1018, il pénètre dans les sept forteresses de Kannauj (une cité de 6 km de long sur les rives du Ganges), ses hommes saccagent et pillent toute la ville, riche et célèbre pour ses 10 000 temples de toutes tailles, et après quelques semaines d’affrontements dans les zones environnantes, il retourne à Ghaznī avec 53 000 prisonniers « riches et pauvres, de teint clair et sombre […] pour la plupart des nobles, des artistes et des artisans, par familles entières », 385 éléphants et 16 énormes chars remplis de bijoux.
Ces captifs déplacés de force – en particulier des musiciens et des danseurs de temple, mais également des artisans, des architectes et des parfumeurs hors pair, formeront le noyau de ce qui deviendra par la suite le peuple rrom. Du fait qu’ils n’ont pas répondu aux exigences du sultan en matière artistique, ils ont été vendus à de riches familles du Khorasan, où ils ont rencontré les Turcs (dynastie des Seljouks) alors en route pour l’Asie mineure, la Turquie d’aujourd’hui.
Après la bataille de Dandanaqan (1040), toutes les trois populations (Indiens, Khorassaniotes et proto-Turcs) ont poursuivi leur route vers l’est, sur Bagdad, puis vers le nord, vers les terres byzantines, où les soldats pouvaient enfin piller librement, car ce n’était pas des pays musulmans.
Les preuves linguistiques indiquent que la région d’origine des Rrom était relativement restreinte (le royaume de Kannauj) et que le départ s’est produit en une seule fois. Cependant, d’autres populations (perses, turques, etc.) se sont mêlées par la suite aux prisonniers de Kannauj et en ont gonflé le nombre.
C’est en 1064 qu’ils arrivent à Ani, capitale de l’Arménie d’alors, que les Seljouks prennent, puis en 1071 ces derniers prennent Manzikert, petite mais significative forteresse byzantine. C’est là que se changent toutes les relations entre l’Asie et l’Europe, puisque la terreur ainsi semée (notamment avec la prise de Jérusalem par les Seljouks en 173) va déclencher les croisades.
On connaît la suite…
Marcel Courthiade, Professeur à l’Inalco
Yasmina Bouhafs-Chicotot