Si plusieurs pays d’Europe de l’est ont vu l’accession au pouvoir de gouvernements nationalistes et identitaires xénophobes ses dernières années (Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie notamment), les pays d’Europe de l’ouest, malgré des spécificités et à l’exception notable du Portugal, de l’Espagne et de l’Irlande, sont confrontés à une progression régulière des partis d’extrême-droite.
En Autriche, Sebastian Kurz a formé un gouvernement de coalition avec le parti d’extrême-droite FPÖ en décembre 2017. Après une campagne électorale axée sur le rejet de l’Islam et une politique migratoire très dure, l’alliance de la droite autrichienne et de l’extrême-droite a été officialisée sur le mont Kahlenberg où les Autrichiens gagnèrent en 1683 la bataille qui les opposaient aux Ottomans et levèrent le siège de Vienne…tout un symbole.
Le FPÖ a obtenu six ministères, dont plusieurs ministères régaliens. Heinz-Christian Strache, dirigeant du FPÖ, est devenu vice-chancelier, en charge de la Fonction publique et des Sports. Herbet Kickl est le nouveau ministre de l’Intérieur, Karin Kneissl dirige les Affaires étrangères, Mario Kunasek le ministère de la Défense, Beate Hartinger-Klein le ministère de la Santé et des Affaires sociales. Contrairement à ce qui s’était produit en 2000, lors de la première entrée dans un gouvernement de coalition du FPÖ, le silence embarrassé et l’absence de sanctions diplomatiques de la part des pays européens et de l’Union Européenne vis-à-vis de l’Autriche est un signe inquiétant de l’évolution des mentalités.
En Italie, les élections de mars 2018 ont vu le succès du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue qui pourraient s’entendre pour gouverner le pays. Les deux partis, s’ils diffèrent sur la politique économique – le Mouvement 5 étoiles prône l’augmentation du salaire minimum, l’aide aux PME et la sortie de l’euro alors que la Ligue défend une ligne économique libérale – se rejoignent sur l’immigration qu’ils veulent sévèrement restreindre, avec l’expulsion des près de 300 000 migrants arrivés ces dernières années (rappelons que l’Union Européenne et notamment la France qui refoule les migrants à la frontière, ont laissé l’Italie seule face à l’arrivée de ces migrants par la dangereuse et parfois mortelle traversée de la Méditerranée en 2016 et 2017).
Ces deux formations politiques ont gagné parce qu’elles ont su adapter leur discours à la nouvelle donne internationale liée à l’élection de Donald Trump et sa légitimation du populisme, mais aussi parce qu’elles ont su incarner le malaise important de la société italienne. Les Italiens n’ont toujours pas retrouvé leur niveau de vie d’avant la crise de 2008, et la crise italienne est multiforme avec le discrédit d’une grande partie de la classe politique traditionnelle, la prolétarisation de la classe moyenne, la paupérisation de nombreux petits patrons du nord de l’Italie, la précarisation d’une partie importante de la jeunesse. Le dramatique de la situation est que le Mouvement 5 étoiles et la Ligue ont su fédérer de nombreuses voix contre la “caste” et contre les migrants. Des récents sondages d’opinion ont révélé que l’immigration est devenue la seconde préoccupation des Italiens…
En Allemagne, les élections législatives de septembre 2017 ont vu la forte progression du parti d’extrême-droite AFD qui a axé sa campagne sur le rejet de l’Islam et de l’immigration. Avec 13% des voix au total et des scores supérieurs à 20% dans les anciens Länder d’Allemagne de l’Est, l’AFD compte désormais 94 députés au Bundestag. Fait inimaginable auparavant, Alexandre Gauland, l’un des dirigeants de l’AFD, a fait l’éloge des soldats du IIIe Reich, ce qui lui a valu une levée de boucliers de la part de toute la classe politique allemande et la démission de plusieurs personnalités de l’AFD. Reste qu’un tabou a été brisé.
Et des membres du nouveau gouvernement de coalition formé par Angela Merkel se signalent par une surenchère nationaliste : Horst Seehofer, chef de la CSU bavaroise et nouveau ministre de l’intérieur, a ainsi rebaptisé son ministère “Heimatministerium”, ministère de la Patrie (le mot Heimat étant négativement connoté depuis l’époque nazie) et récemment déclaré que l’Islam ne faisait pas partie de l’Allemagne…
En France enfin, le deuxième tour de l’élection présidentielle a vu la nette victoire d’Emmanuel Macron sur la candidate d’extrême-droite, après une campagne où le futur Président a défendu les principes démocratiques et dénoncé la campagne du FN contre les immigrés et les musulmans. Mais une partie de la droite traditionnelle évolue vers une conception identitaire de la citoyenneté française, comme le révèlent notamment les récents débats sur l’abrogation du droit du sol à Mayotte ou encore la déchéance de nationalité pour les terroristes islamistes…
Ce sont bien les partis modérés de droite et de gauche qui partout reculent en Europe (les Pays-Bas, le pays flamand et les pays nordiques voient également leurs partis d’extrême-droite progresser avec les mêmes idées xénophobe, anti-Islam et nationaliste). L’équilibre démocratique de nos États est affaibli. Et la remise en cause de l’État de droit se fait insidieusement, avec des critiques de plus en plus directes de ces partis d’extrême-droite contre les Conventions internationales protectrices des droits humains et des juridictions comme la Cour Européenne des Droits de l’Homme, dont les décisions sont taxées de “vision bisounours” de la réalité…
Les nouveaux partis populistes d’extrême-droite rassemblent un nombre croissant de ceux qui sont les perdants de la mondialisation et se sentent abandonnés par leur État et l’Union Européenne. Ils offrent une vision binaire et simplifiée de la réalité, avec une opposition entre les élites, censées être “déconnectées”, et le peuple ; le rejet des immigrés et de toute nouvelle immigration ; le rejet des musulmans et de l’Islam prétendument incompatible avec la démocratie et nos systèmes de valeurs. Cette nouvelle extrême-droite européenne est d’autant plus dangereuse qu’elle se présente comme défenseur des valeurs démocratiques et des libertés individuelles et publiques : défense de l’égalité hommes-femmes, défense de la liberté sexuelle et des homosexuels etc…
Dans un contexte international de montée des tensions géopolitiques et de risque d’une nouvelle crise financière et économique, alors que le nombre des travailleurs pauvres et précarisés augmente régulièrement, l’Union Européenne et les nations européennes doivent repenser leur modèle économique et sociale vers davantage de coopération et de solidarité. Sinon, les temps futurs risquent de virer au brun.
Rose Lallier