
Nous arrivons dans un décor : couleurs, lumières, presque un décor de cinéma. Nous sommes devant le portail, la porte d’entrée d’Auschwitz-Birkenau. Les rails sont recouverts de tapis et plus rien ne nous rappelle notre arrivée dans ces lieux sur le quai de la gare, bien loin de ce décor. Seule, la présence humaine, les discours émouvants de nos amis déportés, et également les interventions officielles, nous rappellent notre tragédie d’il y a 70 années.
La présence de notre Président, François Hollande, qui s’entretient ensuite avec chaque déporté français, et dont on sent l’émotion partagée, nous émeut tous énormément. Mais je me pose en même temps la question, même si les rails étaient visibles, que représente ce décor, vide, sans âme, que voient les gens en visitant ces lieux ? Par quels moyens peuvent-ils imaginer l’atmosphère à l’arrivée de nos trains à bestiaux le long de cette voie ? Quel est le lieu sur place qui permet de se recueillir, de prier, de pleurer, devant les symboles qui représentent ce qui s’est passé à cet endroit précis ? La foule sur le quai, les gens qui se bousculent, les soldats en armes qui hurlent des ordres, les chiens qui aboient, les gens qui crient, les enfants qui pleurent.
Actuellement une question me tourmente : Comment reproduire cette foule, ces émotions au moment de la sélection, de la séparation des hommes des femmes, et surtout celle des enfants et de leurs mères? Comment représenter cette tragédie autrement qu’en projetant des témoignages en continu, accompagnés d’images au sein d’un Mémorial construit à l’endroit même, ce qui n’est pas le cas actuellement. Bien sûr que je suis pour l’application de toutes les nouvelles technologies, surtout en pensant aux jeunes générations. Il est effectivement nécessaire d’enregistrer sur des appareils toutes ces scènes, toutes ces images, toutes ces paroles. Seulement cela ne suffit pas, ou alors dans l’avenir plus personne ne viendra à Auschwitz-Birkenau. On écoutera, on regardera les images à la maison ou dans une salle, si on le veut, si on trouve le temps. En attendant, Auschwitz-Birkenau restera le lieu “authentique”, grand souci semble-t-il des dirigeants polonais, avec lesquels je me suis entretenue. Mais que vaut ce lieu “authentique” sans âme, sans la représentation de ce symbole, parmi les plus importants au monde, pour illustrer les camps de concentration et d’extermination ? Comment se fera sur ce lieu la transmission de la Mémoire de la plus grande tragédie du 20° siècle, durant laquelle les nazis ont massacré environ 6 millions de Juifs, dont 1.500.000 enfants ? Il ne faudrait pas que ce décor, ce calme actuel d’Auschwitz-Birkenau puisse donner l’occasion au négationnistes de rependre leurs théories et leurs injures, faisant mourir à nouveaux nos êtres les plus chers. Il faudrait absolument que tous les responsables des Fondations, des Associations des Déportés et Amis, se réunissent avec les Autorités polonaises d’Auschwitz-Birkenau, pour étudier ensemble les projets en cours. Ce lieu est un lieu international, il appartient à l’humanité tout entière mais en même temps à ceux qui furent massacrés sur place. Bien entendu, on pourrait également penser aux Justes de Pologne sur ce lieu, à ceux qui ont évité à certaines personnes, mais également des enfants, d’être massacrés dans les camps. Je pense plus particulièrement à Madame Iréna Sendler et à l’association “Zegota”.
Isabelle Choko – ancienne déportée d’Auschwitz