Journal de Janvier 2014: « la première guerre mondiale, une rupture civilisationnelle fondamentale

La Première Guerre mondiale, première guerre totale, marque une triple rupture analysée par Annette Becker et Stéphane Audoin-Rouzeau dans leur ouvrage désormais classique, “14-18, retrouver la guerre” (NRF-Gallimard 2003).

 

Un niveau de violence sans précédent

La Grande guerre a atteint un niveau de violence sans précédent. Près de 9 millions de personnes sont mortes dans ce conflit mondialisé, 20 millions de personnes sont blessées, dont des centaines de milliers de mutilés à 100%. Des millions de jeunes hommes sont tués au front, laissant autant de fiancées ou de veuves, et de nombreux jeunes orphelins.

Au front, la mort est devenue violente avec l’utilisation de l’aviation, des blindés et des armes chimiques. La gravité des blessures physiques engendre des innovations et spécialités médicales nouvelles, et l’apparition des “gueules cassées”. Des “blessures psychologiques” apparaissent, qualifiée de lâcheté ou de simulation, que Sigmund Freud identifiera comme des névroses traumatiques de guerre.

A l’arrière, les civils sont soumis à une intense propagande (évoquant mutilations, violences sexuelles, atteintes aux églises). Les civils en zone occupée sont soumis à des conditions de vie extrêmement difficiles, avec des atrocités collectives, des réquisitions forcées de main d’oeuvre et des représailles. Des civils sont internés dans des camps de détention. Le camp de Holzminden, créé en août 1914, accueille les résidents étrangers considérés comme dangereux mais aussi des femmes et des enfants pressentis francs-tireurs. Des camps de travail forcés sont également crées dans les départements occupés français ou de la Belgique.

Après la guerre s’installe une amnésie sur les souffrances des hommes des tranchées, mais aussi sur celles des civils.

La croisade

La Première Guerre mondiale engendre une culture de guerre inédite, caractérisée par une pulsion exterminatrice chargée de haine. L’adversaire est animalisé et il doit être détruit. L’idée de croisade apparaît dans la propagande et les travaux juridiques ou littéraire (concept de “guerre du droit”, “guerre du juste”), tandis que l’infériorisation raciale de l’ennemi est “légitimée” par une recherche scientifique dévoyée. Les opposants à la guerre, qu’ils soient pacifistes à l’arrière ou mutins sur le front, restent très marginaux. Un dangereux syncrétisme s’opère entre le sentiment religieux et le sentiment patriotique, avec les convertis à la guerre.

Le deuil

Durant la guerre et dans l’immédiate après-guerre se développe une intense culture du deuil – familial (les figures des jeunes veuves) et collectif (cérémonies du 11 novembre devant les monument aux morts). Mais les sociétés sont  incapables de prendre en compte la dimension individuelle de la souffrance et de la perte ; elles oublient les prisonniers de guerre et les déportés civils.

Avec le Traité de Versailles de 1919, les populations européennes espèrent en avoir terminé à jamais avec la guerre et la “Der des Ders”. Mais les brutalités sur les civils et les soldats vont faire sentir leurs effets dans les décennies suivantes.  La Grande Guerre est la matrice des totalitarismes du XX° siècle : des hommes profondément transformés sont nés de cette guerre. Nombre d’entre eux deviendront les assassins des dictatures européennes et les génocidaires nazis.

Rose Lallier

 

 

 

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