L’éditorial de notre Journal d’Avril 2013: Négation et apologie, “La permission des juges”

La chambre criminelle de la Cour de cassation vient de donner la permission de faire l’apologie de l’esclavage, en considérant que la loi Taubira du 21 mai 2001, qui a reconnu la traîte négrière et l’esclavage comme constituant un crime contre l’humanité, n’était pas une loi normative qui pouvait servir de fondement légal à une poursuite pour apologie (Cass. Crim. 5 février 2013).

Ce faisant, elle casse un arrêt rendu par la Cour de Fort-de-France qui a condamné de ce chef les propos tenus en février sur Canal+ Antilles qui évoquaient les bons côtés de l’esclavage et les colons qui étaient très humains avec leurs esclaves, qui les ont affranchis et qui leur donnaient la possibilité d’avoir un métier. De tels propos peuvent désormais avoir libre cours. Ils ne constituent ni une provocation, ni une apologie, ni une négation. Ils sont libres, tandis que les esclaves, eux, ne l’étaient pas.

En prenant cette décision surprenante, la chambre criminelle semble se ranger derrière le Conseil Constitutionnel qui, au mois de février de l’année dernière, avait déclaré contraire à la Constitution la loi du 31 janvier 2012 qui réprimait la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, en adoptant le même motif que ceux des juges de la rue Montpensier, selon lesquels: “Une disposition législative ayant pour objet de reconnaître un crime de génocide, ne saurait en elle-même, être revêtue de la portée normative qui s’attache a la loi” (décision N° 2012-647 DC du 28 février 2012). Cf Emmanuel Dreyer “peu importe ce que dit la loi, l’esclavage n’est pas un crime contre l’humanité” (Legipresse Mars 2013 N°303).

Mais en réalité, elle va au-delà de cette position, dès lors qu’elle refuse de reconnaître la moindre valeur et la moindre portée à cette reconnaissance, alors que la poursuite reposait sur un texte préexistant qui se trouve dans la loi sur la presse ( Art 24 al 5&8 de la loi du 29 juillet 1881) et que la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité ne comportait aucune disposition répressive. Là où le Conseil Constitutionnel (C.C) reprochait au Parlement “d’écrire l’histoire” par ses lois mémorielles aujourd’hui réprouvées, et de porter atteinte à la liberté d’expression, la Cour de cassation interdit aux juges saisis de poursuites pour apologie, de se référer à une loi qui n’a été ni abrogée, ni censurée, pour retenir une qualification criminelle à l’esclavage, pourtant par ailleurs réprimé par le code pénal, alors que la loi Taubira, en ce qu’elle reconnaît la traîte négrière comme un crime contre l’humanité, ne comporte aucune disposition répressive qui modifierait la loi sur la presse. Elle est, et reste pour l’instant autonome, mais elle survit, puisqu’elle n’a pas été soumise au contrôle de constitutionnalité du C.C, ni a priori, ni a posteriori, dans le cadre d’une Q.P.C (Question Prioritaire de Constitutionnalité).

En réalité la Cour de cassation se substitue au C.C, dont elle emprunte la compétence illégalement et inconstitutionnellement, sauf que sa décision n’est susceptible d’aucune voie de recours (la cassation prononcée l’est sans renvoi). Il faudrait imaginer que les associations écartées du débat, saisissent la Cour de Strasbourg d’un recours contre la France.

On aurait compris qu’à l’occasion du débat qui a du avoir lieu devant la Cour d’appel de Fort-de-France, ou même devant la chambre criminelle, la Cour suprême soit saisie d’une Q.P.C. qu’elle aurait transmise au C.C.

On aurait compris aussi que, selon la pratique usuelle de l’économie de moyens qui permet aux juges de ne pas donner les vraies raisons de leur décision, elle déclare que les propos poursuivis n’étaient pas à proprement parler apologétiques (ce que soutient mon ami Henri Leclerc, en reprenant l’argumentation de la défense).

Mais on ne comprend pas,

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