Journal de Janvier 2012 : Primo Levi, l’intranquille

Le 11 avril 1987, vers 10h05, après avoir téléphoné au Grand Rabbin de Rome, Primo Levi sort de son appartement situé au troisième étage de l’immeuble du 75 corso Re Umberto où il avait toujours vécu – sauf pendant l’année qu’il avait passée à Auschwitz et les mois de son retour – escalade la balustrade et se précipite dans le vide.

Philippe Mesnard, professeur à l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand, qui dirige la Fondation Auschwitz de Bruxelles, et travaille sur Primo Levi depuis 2002, lui consacre aujourd’hui une biographie, « Primo Levi. Le passage d’un témoin », paru en 2011 aux éditions Fayard.

Avant de se jeter dans le vide, Primo Levi avait déclaré au Grand Rabbin de Rome: Je ne sais comment continuer. Je ne supporte plus cette vie. Ma mère souffre d’un cancer, et chaque fois que je regarde son visage, je me souviens de celui des hommes gisant sur les planches des châlits d’Auschwitz.

C’est la quatrième biographie parue, elle a la particularité d’aborder une réflexion sur la signification de sa vie et de sa mort aujourd’hui, en tenant compte des mémoires génocidaires et concentrationnaires qui se sont élaborées au fil du temps et de l’histoire du XXème siècle.

Primo Levi a connu deux vies : de 1919, année de sa naissance à Turin, à 1944, année de sa déportation, ses 25 premières années appartiennent à un autre monde. En franchissant le seuil du “célèbre” portail (qui est celui de l’Enfer de Dante) il aborde son autre vie.

Il a traversé sa scolarité sous le régime fasciste, donnée alors incontournable, son père, ingénieur issu d’une lignée d’ingénieurs, est inscrit au Parti. Timide, de faible constitution, il s’est très tôt enfermé dans des mondes imaginaires – autre clés de sa résistance intérieure à Auschwitz – et dans sa passion d’adolescent pour la montagne, son éthique de l’effort, son approche familière du vide – autre clé de sa résistance au monde concentrationnaire.

Dans son milieu de jeunes juifs bourgeois et lettrés, dont Vanda, pour laquelle il a éprouvé son premier sentiment amoureux, on pratiquait, nous dit Philippe Mesnard ; “une aversion envers le fascisme plus ironique que violente”. Le 13 décembre 1943, à 5h30 du matin, le hameau où dormaient Primo Levi et ses compagnons de montagne, est investi par une cinquantaine d’hommes. Le 26 février, vers 21h, arrivée à Auschwitz. Sur l’une des parois du wagon, Auschwitz était griffonné à la craie, il a lu Austerlitz. A l’entrée, Primo est dirigé sur une file, Vanda sur une autre.Toute sa vie est déjà inscrite.

Avec son intelligence pratique et rationnelle, protégé par le statut d’ingénieur qui lui est attribué, il se met à observer : “J’ai accumulé une énorme quantité d’observations…” écrit-il en revenant, en précisant qu’il n’a pas fini de trier. Dès lors, presque professionnellement et instinctivement, il commence à témoigner, avec Si c’est un homme, le plus célèbre d’une série de livres qui transformera le chimiste qu’il est en écrivain.

Une vie de témoignages, de livres, d’interviews, une célébrité dont il n’est pas dupe et dont les mondanités l’ennuient : Primo Levi ne recherche pas la lumière, il écrit par devoir et sens des responsabilités.

Arrivent les années 50 (la société de consommation) accompagnées d’accès de dépression et du malaise d’être enfermé dans sa vie de témoin. Il faut que son écriture non testimoniale soit elle aussi reconnue, il y consacre désormais presque tout son temps tout en parcourant le monde afin de mieux le connaître et de l’appliquer à l’explication du passé qui le précède et le poursuit. En relisant son passé d’un autre point de vue, après les épreuves de la vie. Les années 60-70 voient l’arrivée de terrorismes rouges et bruns au nom d’un impossible rachat des crimes du passé…et les débuts du négationnisme.

 

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