
Depuis un an, la voix du Hirak, émergence d’une contestation populaire, se fait entendre. Hirak signifie « mouvement ».
Le mouvement a pris naissance après l’annonce de la candidature de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, le 10 février 2019. Cette annonce déclenche des manifestations d’une ampleur inédite depuis des décennies. Chaque vendredi, à partir du 22 février, durant l’hiver et le printemps 2019, des milliers de manifestants descendent dans les rues d’Alger et des grandes villes en exigeant le départ du Président malade et inaudible, symbole de la confiscation du pouvoir. Le 3 avril 2019, Bouteflika remet sa démission au Conseil constitutionnel et demande pardon aux Algériens. Le Hirak a obtenu son départ mais continue de réclamer une véritable rupture avec le système politique en place depuis l’indépendance, un système dominé par l’armée. La date de l’élection présidentielle, initialement prévue pour le 18 avril est reportée au 4 juillet mais sera annulée, faute de candidats. Le 15 septembre, Abdelkader Bensalah, le chef de l’Etat par intérim, annonce, dans un discours à la nation, que l’élection présidentielle aura lieu le 12 décembre. Cette date coïncide avec le calendrier exigé par le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée. Le mouvement de contestation s’oppose à la tenue de ce scrutin, tant que l’ensemble du “système” des décennies Bouteflika n’a pas quitté le pouvoir. Les manifestations reprennent, des dizaines d’opposants sont arrêtés.
Retour sur un an de manifestations pour une transition démocratique en Algérie.
Jusqu’en décembre, le Hirak conteste une élection dont le déroulement est écrit d’avance avec pour finir, un Président marionnette dans les mains du général Salah, symbole de la permanence du système fossilisé. Avant les élections, deux contre-manifestations organisées par le gouvernement à renfort de cars venus de province ont rassemblé quelques centaines de personnes qui traitaient les opposants au régime de “traitres et d’agents de l’étranger”, réponse classique du régime en place, brandie avec la menace du retour de la décennie noire. Mais ces manifestants téléguidés n’ont pas pesé face à l’ampleur du Hirak qui voit dans les cinq candidats la continuité du système de confiscation du pouvoir. Le 12 décembre, jour de l’élection présidentielle, a connu une abstention massive, 60% des électeurs n’ont pas voté et le jour même à Alger des milliers de manifestants ont bravé la police aux cris de “état civil, pas militaire” “ les généraux à la poubelle“.
Au lendemain des élections, le Président Abdelmadjid Tebboune a immédiatement déclaré vouloir “tendre la main” aux manifestants. Mais la demande de renouvellement des figures politiques et d’une transformation démocratique des institutions n’est pas acquise. Après des mois d’un peuple sans Président, voici élu le 12 décembre, un Président sans peuple. Derrière lui se profile toujours la figure de l’homme fort du pays, le général Salah. Mais le décès subit du général Salah, le 23 décembre a rebattu les cartes. Il était le dernier des combattants du front de libération de l’Algérie, proche de Bouteflika qu’il a convaincu de quitter le pouvoir et le véritable homme fort du régime. Réaction d’un militant du Hirak à cette annonce : “Nous n’avons rien contre l’homme, paix à son âme. C’est contre le système que nous luttons”. A son crédit, il n’a pas fait taire la voix du Hirak par un bain de sang. Sa disparition brutale n’a pas mis fin au mouvement. Les vendredis de manifestations continuent. Fin janvier, plusieurs dizaines de prisonniers poursuivis dans le cadre du Hirak ont été libérés mais une centaine reste en détention. Le procureur adjoint du Tribunal d’Alger centre a été muté pour avoir requis la relaxe de manifestants du Hirak et avoir réclamé une “justice indépendante”. La rencontre prévue jeudi 20 février à Alger de militants venus de tout le pays ainsi que de la diaspora, a été reportée faute d’autorisation. Les vendredi 21et samedi 22 février 2020, une vaste manifestation est prévue pour le premier anniversaire du Hirak, mais l’accès à Alger est réduit au compte-goutte pour empêcher les manifestants d’autres régions de participer à la marche dans la capitale.
Le Hirak est inédit par son ampleur, sa durée et par sa diversité sociale mais comment survivra-t-il à son premier anniversaire ? Ce mouvement est inédit aussi par le choix de la non-violence et de la discipline. Les femmes sont présentes dans les manifestations, “aucune idéologie n’impose ses slogans” selon le sociologue Nacer Djabi, “les islamistes n’ont même pas les moyens d’imprimer leur couleur à ce mouvement”. Pour éviter les arrestations, le mouvement a choisi de ne pas désigner de leader mais il faudra bien que le mouvement se structure et s’organise pour durer. Le drapeau amazigh (berbère) est visible tous les dimanches place de la République à Paris, où se réunissent les opposants au régime, mais il est officiellement banni des cortèges en Algérie, bien qu’il soit une des composantes importantes du Hirak.
Pendant un an, les réseaux sociaux ont accompagné ce mouvement d’opposition et contrecarré le discours officiel qui niait l’ampleur de la mobilisation. Une mobilisation virtuelle disparate et opiniâtre qui réunit les générations. Le Hirak apparait comme une réappropriation d’une mémoire nationale confisquée par le FLN depuis l’indépendance en 1962, comme le fait entendre le slogan “1962, indépendance du sol, 2019, indépendance du peuple”. Benjamin Stora, dans l’essai “Retours d’Histoire. L’Algérie après Bouteflika” décrit un nationalisme algérien pluriel où se mêlaient, au départ, religieux traditionnalistes, républicains et communistes. Il analyse le Hirak comme un ”retour du refoulé”. “Une histoire officielle a mis au secret des pans entiers de la guerre d’indépendance”.
Aujourd’hui l’avenir est incertain. Les propos apaisants du Président Tebboune ont incité certains à laisser quelques mois au nouvel élu. Nombre de manifestants continuent à réclamer pacifiquement la disparition du système appuyé sur l’armée. Un an après la naissance du mouvement sa structuration est en dialogue : quel projet commun ? quels porte-parole ? Quels risques de répression ?
Mars 2020, la répression se met en place, arrestations de militants, poursuites pour ”atteinte à l’unité nationale”, détention. Les prochains mois seront décisifs pour savoir qui du Hirak ou du système en place s’essoufflera.
Et voilà que surgit la pandémie…
Jacinthe Hirsch