“… Je peux affirmer que les républicains espagnols, intégrés dans les rangs des armées alliées ou dans les groupes de résistants qui luttaient sur tout le territoire de France, ne furent à aucun moment “une poignée d’hommes”, comme on le prétend. Ils furent des dizaines de milliers qui luttèrent, dans tous les combats de l’armée française et les nombreux groupes de guérilleros qui se battirent aux côtés de la Résistance, sur tout le territoire, jouant un rôle principal, avec comme corollaire la déportation de beaucoup d’entre eux dans les camps nazis, où ils moururent par milliers”
Jorge Semprun
La majorité des hommes qui composaient la “Nueve” avaient moins de vingt ans lorsqu’ils prirent les armes, en 1936, pour défendre la République espagnole : les survivants ne les déposeraient que huit ans plus tard.
Presque tous ces soldats étaient arrivés en Afrique venant des camps de concentration français où on les avait internés à la fin de la guerre d’Espagne. Dans ces camps, on leur avait donné le choix de s’enrôler dans la Légion étrangère ou de rentrer au pays.
Disséminés en Afrique au sein des armées régulières de Pétain, beaucoup désertèrent pour rejoindre Leclerc, lorsque celui-ci organisa l’armée de la France libre. Avec lui, avec leurs troupes, ils vont participer à tous les combats livrés, y compris contre l’armée de Mussolini et l’Afrikakorps du Maréchal Rommel, pourtant réputées invincibles.
Lorsque le général Leclerc forma sa fameuse 2°DB, en 1943, les Espagnols représentaient déjà une force importante au sein de son armée. Tous, ou presque, furent alors regroupés en un bataillon composé de quatre compagnies dont chacune abritait plus d’un tiers d’Espagnols, à l’exception de la neuvième, espagnole par excellence, où même la langue officielle et le commandement étaient espagnols. Dans ce bataillon d’infanterie craint et respecté, la “Nueve” avait pour mission de se tenir à l’avant-garde et d’affronter l’ennemi en première ligne. Les supérieurs de ces soldats, considérés comme des individualistes et des idéalistes quelque peu insensés, leur reconnaissaient également une vaillance extraordinaire, le courage de ne jamais reculer ni céder un pouce du terrain conquis.
D’après Raymond Dronne, capitaine de la “Nueve”, ces soldats, que beaucoup voyaient comme des rebelles, “n’avaient pas l’esprit militaire. Quelques-uns étaient même antimilitaristes. Mais ils étaient de magnifiques soldats, des guerriers courageux et expérimentés. S’ils avaient spontanément et volontairement épousé notre cause”, concluait-il, c’est parce “qu’elle était la cause de la liberté.”
Au sein des armées du général Leclerc, la “Nueve” se prépara en Afrique et en Angleterre, débarqua en Normandie à la fin du mois de juillet 1944, et fut la première unité militaire arrivée à Paris dans la nuit du 24 août 1944. Un des espagnols de la “Nueve”, Manuel Lozano, le racontait ainsi : “Ça a été très simple, comme une fête. Les gens nous acclamaient tout le long du chemin, couraient à nos côtés, pleuraient, applaudissaient, saluaient, chantaient ! L’enthousiasme était incroyable. Tout le monde était très surpris en nous entendant parler espagnol. Ils n’arrêtaient pas de nos embrasser. Il paraît que partout on chantait la Marseillaise, mais nous, avec le bruit des véhicules, on n’entendait rien. Peu après l’arrivée à l’Hôtel de Ville, les cloches ont commencé à sonner… “.
Amado Granell, sous-lieutenant de la “Nueve” s’en souvenait aussi : “Les cloches de Paris nous émurent. Les combats ne nous avaient pas complètement endurcis. Nous avions tous les larmes aux yeux et une boule au fond de la gorge. Moi j’essayais de chanter avec les autres mais sans y parvenir. Cette énorme émotion, ce grand enthousiasme, signifiaient simplement la liberté, la victoire… “
Deux jours plus tard, le 26 août, tout Paris est dans la rue. La “Nueve” est postée avec le reste de la division face à l’Arc de Triomphe, saluée par le général de Gaulle avant le début du défilé de la Victoire sur les Champs-Elysées. De Gaulle et Leclerc sont escortés peu après, dans le défilé, par les half-tracks des Espagnols de la “Nueve”, avec leurs noms évocateurs : Guadalajara, Teruel, Don Quichotte…
Treize jours plus tard, la compagnie repart au combat avec toute la division Leclerc : Dompaire, Chatel, Nancy, Strasbourg…Le 27 avril 1945, la “Nueve” traverse le Rhin pour atteindre peu après le “nid d’Aigle” d’Hitler, à Berchtesgaden.
Sur les 144 soldats espagnols de la “Nueve” qui débarquèrent en Normandie, ils ne sont que 16 à leur arrivée au bunker de Hitler. Les autres ont jalonné de leurs blessures ou de leurs tombes le long chemin de la Libération.
Evelyn Mesquida, auteur du livre “La Nueve, les Espagnols qui ont libéré Paris” – Ed. Cherche Midi.
P.S. Pour commémorer les 70 ans de la libération de Paris par les républicains espagnols de la “Nueve”, l’association “24 août 1944”, organise le 24 août prochain une marche de la Porte d’Italie jusqu’au Quai Henri IV, même parcours que ce 24 août 1944 où la “Nueve” a été applaudie et fêtée dans diverses capitales du monde.
Avec fleurs, chansons et musique, la “Nueve” fera à nouveau, son “entrée” dans Paris.