Journal d’Avril 2013: “Le problème Spinoza” d’Irvin Yalom aux éditions Galaade

80930504_oFévrier 1941, les Allemands envahissent les Pays-Bas. Que recherchent les services du Reich chargés du pillage des pays occupés, sous les ordres d’Alfred Rosenberg, dans une petite et vétuste maison du village de Rijnzburg ? Cette maison, qui abrite le musée Spinoza, a été la demeure du philosophe 3 siècles plus tôt. Pourquoi s’emparent-ils de l’entière bibliothèque pour la transporter en Allemagne? Afin, espèrent-ils, résoudre “le problème Spinoza” ? Un problème Spinoza pour les maîtres aryens du monde ?

Pour Rosenberg, il faut tenter de comprendre comment et pourquoi les plus grands penseurs et philosophes germaniques, à commencer par le génial poète, Goethe, vouaient à Spinoza une admiration sans borne, l’étudiaient et s’en faisaient un modèle.

Alfred Rosenberg, acteur éminent et propagandiste du IIIème Reich, théoricien de la supériorité de la race aryenne, antisémite virulent, compagnon de la prise du pouvoir d’Hitler, jugé et pendu à Nuremberg, aurait-il été fasciné par Spinoza ? Rosenberg hait les juifs et vénère Goethe. Goethe considère Spinoza comme un génie. Comment cela est-il possible?

Qui est ce philosophe du XVIIème siècle à l’esprit audacieux, dont la pensée fera surgir plus tard Les Lumières, qui ouvre une critique des Livres Saints et en fait une exégèse rationaliste? Qui leur dénie toute origine divine, considère qu’ils ont été écrits par des hommes pour frapper les imaginations et, en quelque sorte, gouverner par la peur. Qui oppose radicalement Foi et Savoir. Qui dénonce les superstitions véhiculées par les religions et leurs rites. Mais dont le Dieu est partout. Il est la Nature, la Raison.

Accusé d’être athée et blasphémateur, le philosophe est, pour cela, excommunié par la communauté juive d’Amsterdam, et mis au ban, de surcroît, par les autorités religieuses calvinistes et catholiques de l’époque. Seuls de rares libre-penseurs le protègent, l’aident et le lisent.

Irvin Yalom est psychiatre, psychothérapeute, essayiste et romancier. Sa passion pour les philosophes – il a écrit sur Epicure, Schopenhauer, Nietzsche etc, – lui fait naturellement rencontrer Spinoza. Il nous livre dans ce roman – car il s’agit d’une “psy-fiction” – une histoire parallèle à 3 siècles d’écart.

Nous pénétrons la vie intérieure de ces deux personnages étrangers l’un à l’autre comme deux reflets inversés. Le mélange de fiction et de vérité génère une forme de vulgarisation historique et philosophique qui rend l’ouvrage passionnant. On y côtoie des érudits et des passants affairés sur les canaux d’Amsterdam du XVIIème siècle, et on croise Hitler et ses affidés s’emparant du Reich.

Peut-on changer le cours de l’histoire en psychanalysant la névrose obtuse d’un dignitaire nazi dans l’ascension et l’exercice du pouvoir, ou en psychanalysant  les convictions rigides d’un philosophe à un moment crucial de sa vie? Irvin Yalom se sert de sa pratique de thérapeute pour nous entraîner dans cette aventure. Une aventure à lire absolument.

André Gide ne voyait-il pas – et Yalom le cite – le roman comme de l’Histoire qui aurait pu être, et l’Histoire comme un roman qui a eu lieu ?

Maurice Benzaquen

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