Journal d’Avril 2011 : « Tête de liste, la Tunisie! »

Oui, enfin, le peuple tunisien s’est révolté! Une révolte que tous attendaient, la seule interrogation était Quand? Il a fallu pour cela qu’un jeune, au bout de sa désespérance, fasse don de sa vie pour apporter le salut aux autres. Il fallait briser le silence, dire très fort l’horreur de la situation politique, ce qui se disait uniquement à l’abri des murs de la maison : on ne peut que s’en réjouir.

Bourguiba, le père de la Tunisie moderne, avait mis en place un système libéral : en visionnaire, il sépare le religieux du politique, neutralise le corps clérical, institue une politique de contrôle des naissances, et libère la femme (aujourd’hui, le statut de la femme tunisienne est des plus évolué car la polygamie y est interdite). Malheureusement, Bourguiba opte pour le système du Parti-Etat, de modèle stalinien : tragique erreur, car par ailleurs, que d’avancées, surtout par comparaison avec les autres pays arabes : effort considérable pour l’éducation nationale (25% du budget national, contre 1% pour l’Armée). C’est la naissance d’une société éduquée: initiative poursuivie par un grand monsieur, Mohamed Charfi, ministre de l’Education, militant des droits de l’homme, nommé par Ben Ali en1988, qui donne à l’enseignement une orientation séculière et moderniste, afin de former des citoyens responsables (un ouvrage majeur de cet intellectuel laïque : Islam et Liberté).

En 1971, Bourguiba refuse le bipartisme, et privilégie la région de Tunis au détriment de l’intérieur : or, c’est de là qu’est partie la révolte. De plus, pendant les dix dernières années de son règne, il a complètement muselé la presse, et fait régner un arbitraire souvent sanglant.

Aujourd’hui, que nous dit cette révolte?

Tout d’abord, on n’a noté aucune trace d’islamisme dans les manifestations, en dépit d’une réislamisation de la société (30% de femmes voilées), car les chaînes satellitaires diffusent un islamisme insidieux, mais l’islamisme a été éradiqué de façon brutale par Ben Ali en 1989/90, et cette répression a transformé le régime en régime radicalement policier, annihilant toute velléité démocratique. On peut espérer que la Tunisie a développé depuis plusieurs années une sorte d’immunité contre l’islamisme, car c’est la société la plus sécularisée du monde arabe.

Ensuite, nous avons assisté à la première révolution pacifique par Internet.

—Mot d’ordre dominant de la révolte : Liberté, Travail, Dignité.

—Rôle civique capital de l’Armée qui a refusé de tirer sur les manifestants, et dont le chef, Rachid Ammar, fait figure de héros national.

C’est avant tout un réveil de la jeunesse, laquelle était désespérée et se voyait sans avenir, no future. Comme le dit Abdelwahab Meddeb, “Ben Ali a réussi à tuer la Tunisie en nous”. Cette jeunesse se reprend à espérer.

Enfin, c’est une révolte contre la corruption : tout le monde le savait, mais dans cette société civile régnait la peur de cette minorité corrompue qui avait fait main basse sur toutes les richesses du pays (on estime que la part colossale des richesses confisquées par le pouvoir et son entourage privait le pays de 2 points de croissance!). En outre, pendant longtemps, le peuple et la classe moyenne n’ont pas manqué de pain, et les chefs d’Etat étrangers étaient bien disposés envers ce pays  parce qu’il y avait peu de chômage, une économie florissante, peu d’analphabétisme, et que les femmes y étaient libres.

A présent, rien ne sera facile, la période transitoire sera très délicate, il faudra beaucoup de prudence, de sagesse et de patience. De nombreux compromis seront nécessaires; il faudra sans doute réutiliser rapidement les compétences de certains dans des secteurs indispensables à la bonne marche du pays, éviter les règlements de comptes, redonner vie à un tissu industriel qui existe, et créer ainsi des emplois. Le progrès se fera lentement, mais il vaut mieux de grandes réformes plutôt que des révolutions incertaines. Il faudra réintroduire dans le jeu politique les opposants, y compris probablement les islamistes qui seront mieux endigués par un pouvoir démocratique que par une dictature. Car si l’on a pendant longtemps pensé que Ben Ali était un rempart contre l’islamisme, ce qui était en grande partie exact, la désespérance engendrée dans le peuple, et surtout chez les jeunes par l’absence de libertés et la corruption insensée du pouvoir, tout cela était de nature à précipiter ces populations dans les bras des islamistes, tant il est vrai que l’intégrisme prospère sur les défaillances de l’Etat. Mais méfiance tout de même, les islamistes sont tenaces et dangereux, bien implantés dans les pays voisins de la Tunisie. Ils tenteront à coup sûr de troubler la fête.

Désormais, le peuple tunisien a retrouvé la liberté, la parole, et on peut espérer voir émerger une nouvelle classe dirigeante imprégnée de valeurs démocratiques. Rien ne sera plus jamais comme avant. Et plutôt que de craindre stupidement, comme n’ont pas manqué de le faire de nombreux éditorialistes…et hélas pas mal de nos politiques, un risque de contagion  au reste du monde arabe, parlons au contraire d’une chance, d’un espoir qui vient de naître, afin que d’autres peuples asservis se débarrassent de leurs chaînes et de leurs tyrans et retrouvent leur dignité.

Enfin, ayons bien conscience que ce qui se passe dans ces pays aura, à coup sûr, un retentissement sur l’état du nôtre : nos destins sont liés, que cela plaise ou non. Comme on a pu le dire pour l’Algérie, la France et les pays du Maghreb ne sont pas séparés mais unis par la Méditerranée. Alors oui, un espoir, un grand espoir est né. Nous devons y croire.

Guy Zerhat

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