Le livre que Jean-Louis DEBRE s’est empressé de publier, un mois après avoir quitté la présidence du conseil constitutionnel, est en passe de devenir le best seller du printemps; et pourtant, ce n’est pas un livre politique.
L’enfant chéri de Chirac ne brigue aucun mandat politique, ni aucun suffrage. Il acceptera peut-être désormais les décorations qu’on voudra bien lui attribuer, faute par lui de les avoir briguées ou acceptées depuis plus de neuf ans.
C’est une véritable confession d’un enfant de la République et d’un fils de famille respectueux de ses origines, attaché à la famille autant qu’à l’Etat, en même temps qu’un vibrant appel à la rénovation de nos mœurs politiques au soutien de la défense des droits et des libertés des citoyens.
Il n’épargne personne et distribue prix et bons points ou les mauvaises notes à tous les hommes et femmes politiques qu’il a rencontrés, fréquentés et pratiqués. Ses victimes ont eu ou ont encore de hautes fonctions dans les rouages de l’état ou dans la mémoire des français. Ses héraults, parfois inattendus, ne sont plus tous aux affaires ou en passe d’y accéder; mais ils nous disent tous quelque chose qui ne laisse pas indifférent.
On le sent indéniablement sincère et loyal envers ceux qui l’ont servi comme envers ceux qu’il a servis … en dehors du conseil, bien entendu, tant il est farouchement attaché à la protection et à la sauvegarde de son indépendance fonctionnelle.
On se régalera de ses impertinences comme de ses compliments qui ne laisseront sans doute bien peu indifférents: de Chirac à Hollande, en passant par Sarkozy (sa cible privilégiée), Pompidou et Giscard, les présidents de la République sont son domaine d’élection. Il les célèbre ou les descend en flamme avec un talent consommé de conteur qui fait le régal des medias qui s’empressent de l’inviter et qui se sont emparé de ses mémoires dans l’espoir d’un remake qui ne saurait se faire attendre.
Ni les anciens ni le nouveau président du conseil ne semblent l’avoir beaucoup impressionné tant l’image qu’il se fait de sa personne et de son rôle le flatte et le satisfait. Le souvenir qu’il en a gardé s’estompe avec le temps, au point qu’on se surprend parfois à se demander si, avant la mise en œuvre de la QPC en mars 2010 le conseil avait la place qu’il mérite dans nos institutions et son président, celle qui lui revenait dans la répartition des pouvoirs.
Depuis 1958, comme il n’y a plus en France que deux pouvoirs (le législatif et l’executif) et une « autorité judiciaire », on se demande si le troisième pouvoir, avant le quatrième qu’on attribue volontiers à la presse ne revient pas davantage à la « cour constitutionnelle » qu’il a instaurée peu à peu, grâce à son entregent, son habileté, sa détermination et son culot, à force d’anniversaires, de galas et de colloques en France et à l’étranger. Orfèvre en matière de communication, il aura bien servi la cause de la rue Montpensier.
D’autres s’y étaient essayés et aventurés, mais à ses yeux, en tous cas, il est le seul et le premier à avoir réussi à le sortir du carcan politique qui en compromettait l’essor, l’autorité et la réputation.
C’est bien parce que la loi organique a règlementé et limité la durée du mandat et son mode d’election qu’il s’est résigné à quitter la rue Montpensier après neuf années de son existence qu’il y a consacrées avec « passion et enthousiasme », mais non « sans une certaine nostalgie ». Il aurait bien continué encore un peu de temps… juste le temps de parfaire l’ouvrage : de voir aboutir la saisie, d’initiative populaire ou d’office et le contrôle de la conventionalité en même temps que celui de la constitutionnalité.
Au risque de prendre la place du Défenseur Des droits (dont au passage il ne dit pas un mot), il aurait sans doute accepté de trouver d’autres occasions de servir l’Etat, d’entretenir à la fois le culte de la famille DEBRE et celui de CHIRAC auquel il s’est voué corps et âme mais « les adieux font aussi partie de la vie ». Ces « mémoires » anticipés, en forme de journal tenu au jour le jour au gré de ses humeurs, sont appelées à prendre la place de ses romans policiers ou de ses livres d’Histoire qui, plus que l’exercice de ses fonctions de juge d’instruction du pôle terroriste, de son mandat de député, ou que ses fonctions de ministre de l’intérieur ou sa place au perchoir de l’Assemblée, lui ont valu les faveurs des medias et du public.
Cet appétit sans frein et sans limites semble cependant lui avoir ouvert des « yeux plus grands que le ventre » en lui faisant oublier quelques impératifs inhérents à la charge qu’il a occupée tout au long de ces neuf années et qui l’obligent, même après son départ.
A en croire la « quatrième de couverture », il s’agit d’un « témoignage salutaire et vivifiant sur notre monde politique » mais au prix d’un sacrifice qui remet parfois en cause son devoir d’impartialité, son devoir de réserve, en dépit des précautions qu’il prétend avoir prises, et surtout son serment de garder le secret des délibérations auxquelles il a pris part, même de celles qu’il n’ a pas inspirées de ses certitudes ou de ses convictions.
Or il semble avoir oublié notamment la formule du serment qu’il a prêté devant le president Jacques CHIRAC et dont il a cru devoir rappeler le contenu à Roland DUMAS qui la lui a demandée (du 11 février 2015 P 305). Selon cette formule résultant de l’ordonnance N° 58-1067 du 7 novembre 1958 , les membres du Conseil constitutionnel s’engagent notamment : » à remplir correctement leur mission; à garder le secret sur le délibérations et les votes, même après leur mandat à ne prendre aucune position publique ayant fait ou susceptible de faire l’objet d’une décision du conseil ».
Or à l’occasion du premier anniversaire de la mise en application de la QPC suite à la reforme de 2008 de la constitution, le 1er mars 2010, il rappelle que le conseil d’Etat et la Cour de cassation ont rendu 527 décisions et ont décidé du renvoi devant le Conseil constitutionnel appelé à en délibérer dans 124 cas or c’est la matière même de son livre. Il en parle, en long et en large sans aucune retenue, alors qu’il a comme tous les autres membres du conseil avec lesquels il a siégé prêté serment de ne rien révéler de ces délibérations. Ainsi qu’il l’écrit lui même à propos de RD « il aurait été mieux inspiré de s’en aviser avant de prendre la décision de publier »au terme d’âpres discussions ses » gammes écrites au jour le jour » dans la mesure où s’y trouvent étalées toutes ces délibérations.
Dont celle du 28 février 2012 (p 100&101) à propos de laquelle il écrit : » le conseil résistant aux pressions des associations d’arméniens annule les articles de la loi visant à réprimer toute contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi « .
Il s’agissait en réalité de la loi votée le 22 décembre 2011 par l’Assemblée nationale et le 23 janvier 2012 au Sénat qui effectivement incriminait la contestation des génocides reconnus par la loi. Comme le génocide arménien est le seul qui ait été ainsi reconnu, il n’était pas très difficile de détecter la provenance des interventions ainsi dénoncées, pour peu qu’elles ne se soient pas identifiées par elles mêmes. Mais il demeure que cette initiative parlementaire qui émanait d’une députée vice-présidente du groupe UMP à l’époque n’était pas seulement destinée à permettre la poursuite des négationnistes du seul génocide des arméniens, mais de tous ceux qui pourraient ultérieurement être reconnus par la loi et notamment celui des tutsis (en 1994) ou de celui des cambodgiens de 1975, pour peu qu’il prenne l’envie au parlement, malgré la mission ACCOYER sur les lois mémorielles, d’en reconnaitre l’existence. La reconnaissance légale francaise du génocide de 1915 remontait au mois de janvier 2001 et n’a toujours pas fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel directe ou par voie de QPC, en dépit des protestations de Liberté pour l’Histoire de René REMOND et de Pierre NORA qui ont tout autant que les associations francaises arméniennes fait campagne dans le sens inverse aupres du conseil.
Sans doute ces associations CDCA et CCAF se sont elles manifestées et encore publiquement et sur la voie publique et sans exclure les autres génocides du XXe siècle (on sait d’ailleurs depuis que Marion Maréchal LE PEN quant à elle a pris l’initiative de déposer une proposition de loi tendant à voir reconnaitre l’existence du génocide vendéen).
On imagine sans peine qu’en tant que président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis DEBRE a dû recevoir nombre de lettres en réaction à la décision prise par le conseil d’annuler la loi BOYER. Il ne les divulgue pas, ni n’en révèle les auteurs. Jusque-là, le secret est bien gardé ; mais il n’a pas tardé à lever le voile sur cette déliberation par nature secrète en révèlant : » qu’il s’est toujours opposé aux lois mémorielles …que l’idée que le pouvoir politique puisse prétendre imposer une lecture de l’histoire le choque … » Confondant celles qui incriminent la négation avec celles qui en reconnaissent seulement l’existence il voit dans toutes ces lois des lois scélérates ou encore » une aberration qui aboutit de surcroit à porter atteinte à la liberté de penser « .
Tout est dit, sauf que c’est lui qui le dit, alors qu’il aurait du se taire, même apès avoir délibéré et fait publier la décision du conseil au journal officiel et même après avoir quitté ses fonctions.
Le secret des délibérations qui, selon la formule du serment des magistrats, doit être « religieusement observée » l’y obligeait , au-delà même de son devoir de réserve dont d’ailleurs il s’affranchit aussi sans scrupules.
Il semble qu’il ait confondu l’un avec l’autre, encore que c’est à cette seule et unique délibération du conseil en date du 28 fevrier 2012 sur laquelle il laisse ouvertement entrevoir son sentiment personnel. Sur toutes les autres, en effet, il évoque les circonstances de leur adoption et l’origine de la saisine, les tentatives d’interventions et de pressions de la part du pouvoir politique auprès de certains membres du conseil, les discussions auxquelles elles ont pu donner lieu et les répercussions que les décisions prises par le conseil dans la presse, dans l’opinion et même à l’étranger ou auprès des juridictions nationales de l’ordre judicaire et administratif mais jamais un mot sur son sentiment personnel ou son opinion préalable sur la question objet de la loi déférée.
Même si l’on pressent que son avis personnel rejoint celui exprimé par le conseil dans ses décisions, on ne trouvera pas sous sa plume d’autre révélation que celle-ci qui permet a tous aujourd’hui de savoir qu’il était opposé au vote de cette loi et qu’il a pesé de tout son poids pour en faire décider le conseil. Bien peu en doutaient, mais cela relevait du domaine de l’intention qu’on lui prêtait ou de la présomption, pas de son propre aveu.
Comme s’il lui paraissait nécessaire de se justifier il revient sur les raisons qui l’anime en ce domaine:
– sa conception de l’histoire
– l’atteinte à la liberté d’expression
– l’ancienneté et l’extranéité du génocide arménien
– l’usage fait par les régimes totalitaires ou simplement autoritaires de lois qui instrumentalisent le passé.
Certes, il prend soin de rappeler que « la délibération a été collective » ; mais les raisons qu’il avance lui sont propres et personnelles :
– La France ne serait pas concernée par ces » massacres »
– La décision prise en 1945 par le TMI de NUREMBERG sur la notion de crime contre l’humanité oblige la France a la respecter
et il prend même soin de préciser: » Il faut à mon sens éviter de légiférer à outrance sur la mémoire collective » .
Cette conviction personnelle qui ne résulte pas des termes de la décision rendue par le conseil lui permet d’expliquer pourquoi, du temps où il présidait l’Assemblée nationale il s’était opposé à la loi du 29 janvier 2001 qui a reconnu le génocide arménien.
Bref c’est bien de sa conviction et de sa position personnelle qu’il s’agit : » C’est la raison pour laquelle, alors président de l’AN je m’étais déjà opposé à la reconnaissance par la loi du génocide armenien » . »Ce « déjà » signifie bien ici « encore ».
Son recours aux propos de René REMOND illustre lobbyiste qui s’est à l’époque révélé l’adversaire le plus déterminé a l’adoption de lois mémorielles lui, permet de distiller à son tour des propos négationnistes sous forme d’interrogations portant sur le » grand massacre » reconnu par les turcs eux mêmes qui refusent la qualification de « génocide ».
Et comme s’il fallait absolument trouver une raison sordide ou indigne à l’initiative parlementaire de Mme Valerie BOYER, il ponctue ses confidences par une imputation diffamatoire adressée aux parlementaires qui ont voté cette loi … » Dans le seul espoir de glaner des voix pour leur réélection.
Compte tenu de la formulation du serment preté par les membres du conseil( ci desus rappelée) ,il n’est pas besoin de reprendre les multiples passages de son livre qui argumentent , dissèquent et explicitent la mission desormais juridictionnelle que remplit le conseil constitutionnel.
Il en résulte qu’il a délibérément violé le secret des délibérations et en particulier de celle prise à propos du génocide arménien pour laquelle, il aurait dû se déporter en raison des positions publiques qu’il avait prises antérieurement sur la question, manquant ainsi à son devoir d’impartialité. Il devrait pour cela en répondre soit disciplinairement devant le CSM, soit pénalement devant le tribunal correctionnel selon ce que le MP décidera, s’il vient à être saisi d’une plainte de la part des « assocations d’arméniens » qui attendent par ailleurs que le président HOLLANDE tienne la promesse qu’il vient de renouveler lors du dîner annuel du CCAF le 22 février dernier et par ailleurs que la commission des lois de l’assemblée nationale se saisisse de la nouvelle proposition de loi de Mme Valérie BOYER qui a fait l’objet le 3 décembre dernier d’un renvoi en commission.
Bernard Jouanneau
(article publié dans le Club des amis de Mediapart)