
Le ciel attendra de Marie-Castille Mention-Schaar
Le film : Sonia, 17 ans, a failli commettre l’irréparable pour « garantir » à sa famille une place au paradis. Mélanie, 16 ans, vit avec sa mère, aime l’école et ses copines, joue du violoncelle et veut changer le monde. Elle tombe amoureuse d’un « prince » sur internet. Le film alterne le parcours de ces deux adolescentes, Sonia a échappé au départ en Syrie mais ne peut pas se dégager du discours djihadiste. Mélanie se prépare au départ en cachette de sa mère et finit par partir. En parallèle, on suit la quête désespérée de sa mère pour tenter de rejoindre Mélanie, après son départ et les échanges dans le groupe de parole suivi par Dounia Bouzar. Le film débute par l’irruption brutale des forces de l’ordre au domicile de Sonia avant son départ et son arrestation, puis viennent les questions que se posent les parents dans le groupe de parole. Echeveau complexe du scénario qui suit les parcours en sens contraire des deux candidates au martyr.
Sonia à sa mère – Laisse-moi partir, on est tous perdus ! T’es qu’une mécréante, tu pourras jamais aller au paradis
Sa mère – Tu crois que c’est ton rôle de mourir à 17 ans ?
Sonia – Nous aimons plus la mort que vous aimez la vie.
L’intervenante: Carol Mann Historienne de l’art et sociologue, spécialisée dans la problématique du genre et du conflit armé dont elle a contribué à initier l’étude en France, à partir de ses propres travaux, dès 1993, en Bosnie durant le siège de Sarajevo. Chercheure associée au SOAS (équivalent de l’INALCO) à Londres, elle a créé, en 2000, l’association Femaid qui travaille avec des femmes en Afghanistan rural ; auteure d’études, de romans, et de nombreux articles, « Femmes dans la guerre (1914-1939) », a paru chez Pygmalion en 2010.
En présence d’élèves de 2 établissements :
- Collège Pasteur de Villejuif, 2 classes de 4ème
Professeures d’histoire : N. Poupeau et A. Fontaine
- Lycée Michelet de Fontenay-sous-Bois : une classe « Défense » comprenant des élèves de 4ème, 3ème et 2nde.
Professeure Martine Sanz, référente classe Défense et sécurité globale.
Après la projection du film et quelques paroles d’introduction, Carol Mann commence le débat par une question :
Carol Mann : Embrigadement par la religion, cela vous dit quelque chose Daech ?
Un élève : Daech c’est une organisation terroriste. C’était en Syrie et au Liban. Ils endoctrinaient le peuple.
Carol Mann : Daech, acronyme pour Etat Islamique, existe encore. Il s’agit de l’islam politique, d’une manipulation de la religion pour faire passer des principes contre la démocratie. Pour faire des actes terroristes ils embrigadent des jeunes, les font venir en Syrie via la Turquie. Daech a organisé le génocide les Yezidis d’Irak. Ils ont kidnappé, vendu des filles. Les filles ne rencontraient jamais le prince charmant. Elles étaient vendues, elles devaient fabriquer des combattants, faire des attentats suicides. Vous savez ce que c’est ?
Un élève : Des gens, ils se font tuer pour tuer d’autres.
Carol Mann : On leur dit « tu vas aller retrouver Allah » Dans un pays que je connais bien, l’Afghanistan, il y a les talibans, vous connaissez les talibans ?
Aucune réponse dans la salle.
Carol Mann : Les talibans sont très proches de l’Etat Islamique. Ce sont eux qui dirigent le pays maintenant. Les femmes afghanes n’ont pas le droit de sortir, chanter, aller à l’école…Aucun droit sauf celui de faire des bébés. Ils utilisent la religion pour contrôler complètement les femmes. Un pouvoir politique déguisé en religion c’est grave et sérieux. Je suis une spécialiste des guerres et des femmes, surtout en Afghanistan. Daech s’enrichit par des trafics d’armes et de drogue. Et la guerre en Ukraine, qui a envahi ?
Un élève : Poutine.
Carol Mann : Poutine utilise la religion orthodoxe, appuyé par le Patriarche, pour faire la guerre. Dans toutes les religions il peut se produire le même phénomène d’abus de pouvoir. Le pouvoir a besoin de beaucoup d’argent. D’où vient l’argent ? Du narcotrafic : amphétamines, captagon (fabriqué par Daech) ; des armes. (…) Est-on à l’abri des idéologies dangereuses en France ? Les pays islamistes, la Russie de Poutine sont des pays d’extrême-droite. Leurs idées courent partout. Les grands de 16 ans, sachez que ceux qui sont issus de l’immigration, vous êtes les premières personnes à être visées par l’extrême-droite. Vous qui pourrez voter dans 2 ans, attention à l’extrême droite qui véhicule des fake news. Qui sait ce que sont les fake news ?
Un élève : Ce sont des fausses informations.
Carol Mann : Oui.
Un élève : Véhiculées par des réseaux comme Facebook, Instagram, Tiktok.
Carol Mann : Qui regarde Tiktok ?
Tous les élèves présents regardent Tiktok.
Carol Mann : Que regardez-vous sur Tiktok ? Vous y croyez ?
Un élève : Je ne sais pas. Par exemple on peut voir qu’un cours est annulé et c’est faux.
Carol Mann : Qui a vu d’autres informations bidons ? Regardez-vous de la pornographie ?
Le public : ohhhhhhhhhhh !!!!!!
Carol Mann: La pornographie violente induit que la violence est normale. Elle montre des rapports Hommes-Femmes qui sont des fake news.
Un élève : Moi je regarde des influenceurs parce qu’ils sont drôles.
Carol Mann : Quels types d’influenceurs regardez-vous ? Je vous propose d’avoir un esprit critique. Je vous demande de réagir à la propagande.
Un élève : Les fake news c’est des gens qui propagent de fausses informations. Et qui veulent dire que l’état est corrompu, comme on a vu dans le film.
Carol Mann : Les talibans et les islamistes légitiment leurs fake news par la religion.
Un élève : par exemple ceux qui disent que la terre est plate, ou la théorie des hommes reptiles. Les pyramides : des gens pensent que ce sont géants qui les ont construites et non des hommes.
Carol Mann : Avez-vous entendu parler de théorie du complot ?
Un élève : Il y a des gens qui croient que les Rothschild allaient s’enrichir en prêtant de l’argent à des juifs. Ils sont devenus très riches et ils contrôlent tout.
Carol Mann : Prêter de l’argent existe depuis toujours. C’est une discrimination raciste contre les juifs qui n’avaient pas le droit d’exercer un autre métier. En Italie, c’étaient les Lombards qui prêtaient de l’argent. Vous voyez le danger du discours : les Rothschild sont riches donc tous les juifs sont des banquiers riches. C’est la même chose, s’il y a un attentat, on va dire : – c’est un Tunisien, donc tous les arabes sont des terroristes. On prend une petite donnée et on lui donne une signification générale. Avez-vous rencontré le racisme ?
Un élève : Quand je faisais mon stage à Auchan, quelqu’un m’a dit : « Sale esclave ».
Carol Mann : Parce que tu étais stagiaire ?
L’élève : Parce que je suis noir.
Carol Mann: Qu’as-tu répondu ?
L’élève : Dans mon cœur j’ai pensé, je vais lui mettre une patate. Mais je me suis retenu.
Carol Mann : C’est choquant, je comprends que tu aies envie de lui mettre une patate. En Amérique, les noirs étaient des déportés vendus pour devenir des esclaves. Vous voyez comment le racisme fonctionne.
Martine Sanz (professeur) : Fake news, théorie du complot et radicalisation sont liées.
Carol Mann : La radicalisation c’est un endoctrinement basé sur des informations fausses pour faire commettre des attentats. Le racisme c’est une information fausse. Comme dans l’exemple : Rothschild est juif, tous les juifs sont riches. Ou dans l’exemple : tous les attentats sont faits par des arabes.
Martine Sanz : Je suis enseignante en lycée professionnel, ce que je comprends aussi dans le film c’est l’omniprésence du téléphone portable. Dounia Bouzar, dans le film, parle de 200 messages par jour. Ces messages servent à couper le jeune de sa famille. C’est le même fonctionnement qu’une secte. Toute la place est prise par le téléphone portable. C’est pour cela qu’on vous prend votre téléphone pendant les cours.
Arlette Weber (Mémoire 2000) : Il faut aussi noter la désocialisation des filles qui s’isolent de leurs copains. Le devoir de chacun est alors d’alerter un adulte. Si on ne le fait pas, c’est de la non-assistance à personne en danger. Il faut en parler.
Carol Mann : Avez-vous déjà vu quelqu’un en danger ? Que faites-vous ?
Une élève : Je m’inquiète. Je ne dis rien. Je laisse du temps. Puis je l’appelle. Si besoin j’informe les proches.
Carol Mann : C’est très important de se mêler de ce qui ne nous regarde pas. Chacun est responsable du groupe.
Marianne Roth
