
Le cahier, film de Hana Makhmalbaf
Thème : Droit à l’éducation pour les filles
Intervenante : Carol Mann, historienne de l’art et sociologue, spécialisée dans la problématique du genre et du conflit armé, auteure de Hommes à la guerre, femmes aux fourneaux. Représentations et réalités.
Un débat très dynamique avec de très nombreuses prises de paroles de filles et de garçons sur un thème qui les mobilisait manifestement. Le film en VO a beaucoup plu aux filles, il y a eu quelques réserves des garçons, l’intervenante les a mis très à l’aise. Peut-être aussi le fait qu’il n’y ait pas d’autres classes, ils n’ont pas hésité à s’exprimer sur des sujets personnels et on a été contraints de stopper la discussion malgré de nombreux bras levés car ils devaient retourner en cours l’après midi.
À propos du film : une fille réagit d’abord, elle a beaucoup aimé, elle est en colère contre les garçons qui agressaient, menaçaient la petite fille. Les garçons ont trouvé que c’était « surjoué », et qu’il y avait des longueurs et des répétitions. Carol Mann répond qu’il ne s’agit pas d’un documentaire. La réalisatrice a choisi d’utiliser des symboles forts, le cahier mis en pièces, les jeux de guerre.
« Ce que vous avez vu dans ce film, c’est très dur, c’était il y a longtemps, mais maintenant c’est pire encore » elle resitue le contexte : le retour des talibans qui obligent les femmes à porter le voile, interdisent aux filles d’aller à l’école. Elle évoque les récents évènements dans les écoles de filles : tentatives d’empoisonnement des élèves. Elle rappelle les lois des talibans au pouvoir : l’interdiction faite aux femmes de sortir non accompagnées d’un homme, le mariage forcé même très jeunes, la lapidation. Les femmes travaillent énormément à des tâches extrêmement fatigantes alors que les hommes travaillent peu. « Maintenant, en Afghanistan, les femmes meurent plus jeunes parce qu’elles ne sont pas éduquées ».
Les jeunes entrent alors dans un débat de leur propre vécu quant à la domination masculine au quotidien (échanges verbaux blessants envers les filles alors que les garçons certifient qu’il s’agit d’humour, répliques outrées des filles), les arguments fusent : supériorité masculine revendiquée par les garçons (plus de force physique, supériorité au travail, obligation à l’homme de ramener des sous pour nourrir la famille…) Contre arguments des filles.
Un garçon demande : Quel est le but de nous montrer ce film ?
Carol Mann : Le but de cette séance est de montrer la réalité tragique vécue par les Afghans aujourd’hui. L’objet de ce film est de montrer l’incroyable opiniâtreté de cette petite fille qui veut absolument apprendre. C’est aussi de dire que la domination masculine est une construction.
Carol recentre le sujet sur un problème d’évolution dans le temps et d’influence du milieu familial qui tend à la reproduction.
Les filles approuvent et trouvent que cette évolution est bien lente, voire qu’elle régresse : « il est anormal que de nos jours un violeur soit moins puni qu’un vendeur de drogue ».
Un retour au film, calme le débat et les élèves qui ont voulu savoir à quelle date il a été tourné sont étonnés d’apprendre que le film a été tourné il y a 16 ans par Hana Makhmalbaf, jeune femme iranienne de 19 ans dont ce n’était pas le premier film.
Elle a voulu montrer l’importance pour la petite fille du film de s’extraire des tâches de surveillance de son petit frère pour aller à l’école malgré les difficultés rencontrées (achat de cahier, trajet très long et dangereux, rencontre avec des garçons qui jouent à la guerre et veulent l’entraîner dans ce jeu, destruction de ce cahier qu’elle a eu tellement de mal à acheter, difficultés à se faire une place à l’école…). Elle met l’accent sur la nécessité de l’instruction pour faire évoluer la société « plus les femmes accèderont à un niveau élevé plus les hommes auront à y gagner également, d’ailleurs la société civile ne s’y trompe pas et de nombreux hommes soutiennent les manifestations féminines actuelles : bien sûr les talibans s’y opposent, pourquoi à votre avis ?». « Ils ne veulent pas que les femmes soient plus instruites que les hommes et qu’elles se révoltent devant l’ordre établi. »
Vient alors la question du voile. Les garçons :« Je soutiens à fond les femmes quand elles sont victimes parce qu’elles vont à l’école mais je trouve qu’elles doivent porter le voile. » « Les femmes doivent porter le voile, c’est normal c’est religieux » « c’est aussi culturel ». Carol explique que ce sont les talibans qui obligent à le porter sous peine de lapidation, une jeune fille explique « le voile, c’est spirituel, on doit le porter par conviction, non par obligation. » « En Afghanistan ce n’est pas ça, les talibans se cachent derrière la religion et la culture pour appliquer leurs propres lois».
Un garçon : « Alors que peut-on faire, nous, petite classe de lycée français ? » « Peut-on juger une culture différente ? » « Peut-on intervenir ? »
Carol Mann: « Déjà le fait de discuter, comme vous le faîtes aujourd’hui, de prendre conscience de ces problèmes de dominations (coloniale, fasciste, sexiste…), de militer dans des groupes politiques, de vous documenter sur ce qui se passe dans le monde est très important ; si vous le souhaitez, parlez-en avec votre professeur, je peux venir dans votre classe avec une jeune femme afghane qui pourra témoigner. Les Afghans regardent la télévision et les actions qui se passent en France sur ce sujet-là, les aideront à prendre conscience et à évoluer ».
Retour au film avec la question « Je n’ai pas compris l’histoire des bouddhas. » Jacinthe explique qu’en 2001 les talibans ont fait exploser ces sculptures géantes témoignant de la culture de l’avant Islam. Ce sont les explosions qui ouvrent et ferment le film.
Quelques phrases fortes en guise de conclusion de ce débat qui a été très animé :
« Nos comportements sont régis par notre éducation, si c’est une erreur il faut éviter de la reproduire. » (Carol Mann)
« On ne peut pas accepter l’inégalité hommes/femmes, on doit être complémentaires, on a un rôle à jouer ensemble dans la société. » (Un jeune homme)
« Quand on est dans un pays laïc, on doit respecter les lois laïques. » (Une jeune fille).