
Thème : L’intégration
Débatteur : Hakim Djaziri, comédien, metteur en scène et auteur.
Ce mardi matin, le cinéma Silencio des Prés a accueilli cinq classes venues de l’autre côté du périphérique parisien : 2 classes de 3ème du collège Jean Macé de Clichy la Garenne, 2 classes de 1èredu lycée Picasso de Fontenay sous-bois, 1 classe du lycée Mansart à La Varenne pour voir le film Nous trois ou rien. Le jeune public connait Kheiron interprète et réalisateur de ce film. Célèbre stand-uppeur, il s’est produit notamment au cirque d’hiver en avril 2022 avec La banlieue, c’est Paris ?
Kheiron, dans Nous trois ou rien, raconte l’histoire de ses parents, Hibat et Fereshteh, exilés d’Iran. Il interprète le rôle de son père. Le film commence sous le régime du Shah. Hibat devient un héros car il refuse en prison de manger le gâteau d’anniversaire du shah et pour cela, il est soumis à un régime très sévère d’isolement et de torture. Après la révolution vécue comme un soulagement, la famille découvre le régime autoritaire et théocratique de Khomeiny. Gravement menacé par son engagement constant pour la démocratie, Hibat doit s’exiler. Mais pour sa femme, Fereshteh, pas question qu’il la laisse avec leur fils en Iran. C’est « nous trois ou rien » le leitmotiv du film, porté par cette femme qui se bat avec autant de détermination que son mari. Après un an à Istamboul, Fereshteh et Hibat obtiennent l’asile politique en France. Mais l’installation au pays des droits de l’homme, n’est pas si simple. Arrivés en Seine St Denis, c’est d’abord la galère et les petits boulots pour survivre pendant qu’Hibat termine son diplôme d’avocat. Puis, les parents de Kheiron s’impliquent fortement dans la vie locale, au quartier des poètes. Fereshteh dans une association de Femmes dans la cité où elle fait de la médiation sociale dans des ateliers qui mêlent les communautés. Hibat de son côté, apprivoise les « durs » de la cité qui saccagent régulièrement le centre social et se moquent de ce bien commun qu’il leur apprend à considérer comme leur bien. Hibat organise une réunion entre les jeunes et la police, l’agressivité est intense. Hibat commente : « ils se détestent mais ils se parlent ». Des 3 qui prétendaient être des durs, deux vont s’intégrer dans la médiation dans le centre social. Le 3èmecontinue son trafic entre le bled et la cité mais Hibat lui fait dire qu’il n’est pas trop tard pour changer de voie.
Le sujet est grave, mais à aucun moment, les personnages ne se prennent au sérieux. Au contraire, les gags se succèdent et tout est traité sur un mode espiègle. Hibat explique qu’il n’a pas mangé le gâteau du shah parce qu’il est allergique à la levure. A la fin du film, il découvre le centre social de nouveau saccagé et l’inscription « Hibat, nique ta mère » A celui qui rit devant sa mine consternée, il réplique « Range tes dents, il n’y a rien de drôle là ! ». Le sérieux est dans sa fidélité à ses valeurs de bien commun, jamais dans de grands discours.
Hakim Djaziri demande les réactions du public. Les réponses fusent « Franchement, j’ai bien aimé, il y avait des passages drôles et c’était sérieux en même temps. Aussi, le film c’était dans les années, il y a longtemps, et ils parlent comme maintenant. C’était très réussi. ». « J’ai plutôt apprécié. Il y a tellement de personnages différents, entre tous ces personnages, on peut se dire que ça peut être nous. Le côté marrant, ça aide, ça donne envie de voir la suite. »
Hakim Djaziri se présente : à 13 ans, il est arrivé d’Algérie à la cité des 3000 à Aulnay-sous-Bois. Sa famille a quitté l’Algérie à cause de la guerre. Ses parents, comme les parents de Kheiron, ont dû fuir un danger de mort. En Algérie, sa mère était psychologue, son père homme politique respecté mais menacé par les islamistes durant ces années de guerre. L’arrivée en France, dans la cité des 3000, n’a pas été facile. « Je ne m’attendais pas au rejet, je rêvais d’un pays de libertés, je ne m’attendais pas à ce qu’on fasse de nous des victimes. Être une victime, ou devenir un loup ? J’ai fait le mauvais choix. Moi qui étais bon à l’école, je me suis petit à petit déscolarisé, je suis passé par la petite délinquance puis la prison. J’avais accumulé beaucoup de haine et de frustration. J’ai eu un parcours chaotique, j’ai intégré un groupe radicalisé, j’étais le gamin perdu prêt à être endoctriné, à tout faire comme on me le demandait, j’acceptais tout : le cadre rigide, les tenues, les interdits. Je n’écoutais pas de musique, uniquement des chants religieux. Et là, j’ai été sauvé par le théâtre. Le théâtre, c’est devenu un rêve auquel je me suis accroché. J’ai retrouvé le droit chemin. L’intégration est devenue une intégration voulue, choisie. »

Les questions suivantes portent sur les difficultés de l’intégration. Une élève note que ce n’est pas parce qu’on est issu de l’immigration que l’on ne peut pas réussir. Elle a apprécié que le film montre le couple de parents avocat, infirmière et non des personnes sans compétence. Hakim rebondit sur ce thème. Ses parents lui ont fait croire qu’ils étaient intégrés avec une bonne situation. C’est par accident qu’il a découvert que son père vendait des shampoings sur les marchés. Il ne faisait pas les marchés près de chez lui, mais dans une commune éloignée. Sa mère faisait des ménages mais ne le disait pas. Lorsqu’il a découvert son père sur le marché, ça l’a cassé. « Je maudissais ce pays d’avoir fait de mes parents ce qu’ils étaient. » Un élève demande si ça arrive souvent de récupérer le statut de son pays d’origine. Non, répond Hakim Djaziri, les malaises d’intégration existent partout, pas seulement en banlieue mais aussi dans les zones rurales où on est isolé. Heureusement pour moi, mes parents étaient soudés.
Questions des élèves : Avez-vous mal vécu ce qui s’est passé avec votre famille ? Est-ce que vous en voulez à vos parents ?
Hakim Djaziri explique : J’ai fait toutes ces « conneries » je n’ai pas de fierté de ce que j’ai vécu. Mais je n’en veux pas du tout à mes parents. On était en Algérie dans un moment de guerre très compliqué. Un exemple : à l’époque il y avait un couvre-feu en Algérie. Un après-midi on va à la plage avec mon oncle. Au retour le couvre-feu est déjà tombé. On lui dit : « tu passes par la plage, pas par l’intérieur » on savait qu’il y avait de faux barrages tenus par les islamistes. Lorsqu’il y a un barrage il faut lever les mains, allumer le plafonnier pour voir l’intérieur de la voiture. Et puis le risque c’est que ça kalache, on le savait. Là, au retour de la plage, on a eu de la chance : le conducteur a vu un homme avec une petite barbe, il enfilait un treillis militaire derrière un arbre. Jamais un vrai militaire n’aurait fait ça. Il a tout de suite compris que c’était un faux barrage et il a fait une marche arrière. Sinon je ne serai peut-être pas là. On est arrivé en France tardivement en 1994, alors que la guerre avait commencé en 90. Mes parents voulaient rester. Mais un jour, ils (les islamistes) ont pris en photo mon petit frère et moi, ils ont mis la photo dans la boîte aux lettres. Là mes parents ont compris le message : il fallait partir.
Puis Hakim Djaziri fait le récit de l’arrivée : avant d’arriver en France il rêvait d’un pays avec du Nutella partout, il allait manger du Nutella à volonté. Ses parents aussi espéraient que l’arrivée serait plus facile. « Oui j’ai pu manger du Nutella j’ai pu aller au McDo. Mais une fois qu’on a été scolarisé j’ai vu que c’était chaud… »
Un élève: Êtes-vous fier de vous aujourd’hui ?
Hakim Djaziri : Aujourd’hui oui ! Pendant des années j’ai culpabilisé terriblement. C’était tellement dur à vivre, pendant 3 ans j’ai coupé les liens avec mes parents avant de renouer. Aujourd’hui on est une famille très unie très solide, mais quelle déception pour mes parents ! Ils pensaient « Hakim va réussir va devenir quelqu’un de bien » et j’ai tout fait foirer. Mais il faut croire qu’il y avait quelque chose de sauvable chez moi. Ma fierté ça a été d’arriver dans Paris, j’avais 5 mots de vocabulaire, j’étais habillé comme un minable de cité. Et j’ai réussi à passer dans Paris. Le message que j’ai à donner c’est qu’il n’y a pas de fatalité. Si on a réussi à se trouver une place dans ce pays, on peut même devenir une source d’exemple. Maintenant j’interviens partout dans le monde sur ces questions d’intégration, je suis content de pouvoir transmettre à d’autres que l’on peut créer un monde à partir de ses rêves.
Puis une question sur son rapport à l’Algérie et à la France.
Hakim Djaziri : Pendant 7 ans, on n’est pas retourné en Algérie, maintenant on y va très souvent je m’y sens bien, mais je ne pourrais pas vivre là-bas. Je me sens bien en France, j’ai passé mon temps à maudire ce pays pendant 5 ans. Maintenant, je me rends compte qu’il y a des chances ici qu’il n’y a pas ailleurs.
Un élève : Comment êtes-vous devenu acteur ?
Hakim Djaziri : À la fin de l’année où j’avais commencé le théâtre, ma professeure m’a tendu une carte et m’a dit « va à Paris, fais du théâtre ! ». Je suis allé à Paris. Je bossais pour payer mon école, j’étais serveur dans le marais et dans le marais il y a une grande communauté homosexuelle. Moi, j’étais homophobe au dernier degré, il n’y avait pas plus homophobe, mais j’étais obligé de bosser. Au bout d’un moment à travailler avec eux, tu te dis « il n’y a rien de différent entre eux et moi ». Le fait d’être resté ça m’a permis de voir les choses à 360° et ceux qui ne sont pas d’accord avec ma façon de penser, eh bien je discute.
Un élève: Y a-t-il un moment précis qui vous a fait basculer ?
Hakim Djaziri: Oui : la rencontre avec le théâtre. À l’époque les barbus étaient venus me chercher car ils savaient que j’étais un enfant perdu. Je sors de prison j’ai foutu ma vie en l’air. Et ils m’expliquent : « viens tu vas faire du bien, avec une association musulmane, tu vas aider les tiens, tu vas donner aux pauvres. » D’un autre côté il y avait les prêches, petit à petit tu te radicalises, tu n’écoutes plus de musique, tu n’écoutes plus que des chants religieux, tu penses que tu défends les tiens. Je ne fréquentais plus que la mosquée et les prédicateurs. J’étais prêt à partir faire le djihad au Yémen. Au bout de 7 mois, je passe un jour devant le théâtre, je me cache pour regarder. Dès que je vois le cours derrière cette vitre, j’ai envie d’y aller. Je m’inscris en cachette, je me planque, j’ai ces 2h par semaine complètement différentes de ma vie. Je vis coupé en deux. Le reste du temps je porte un kamis, pour ne pas attirer les soupçons, je fais tout ce qu’on me demande à la mosquée. Je me donne à fond, je vais même moi voir mon imam et je lui dis que je suis prêt à partir au Yémen. L’imam me dit « tu restes, c’est moi qui dirai quand tu partiras ». Dieu merci. J’ai continué à mener cette double vie. La veille de la première représentation au théâtre, j’ai prévenu mes parents, je les ai invités. Ils n’y croyaient pas : il y avait eu la prison, la rupture. J’ai quitté le mouvement qui cherchait à m’embrigader le soir après la représentation, les applaudissements c’était ma vie qui commençait.
Hakim Djaziri conclut : « J’espère de tout cœur que ce film qui est vrai, et mon témoignage vous donneront des forces pour défendre vos convictions. Vous avez des forces, vous avez un tas d’armes pour devenir des citoyens exemplaires ».
Le public applaudit chaleureusement avant de quitter la salle pour faire le long trajet qui les ramène dans leur établissement.
Jacinthe Hirsch