Compte-rendu de notre séance du 13 décembre autour du film « La désintégration », rédigé par Joëlle Saunière

Un film de Philippe Faucon (2011)

Thème : la radicalisation                                             

Le débat a été animé par Guillaume Monod, pédopsychiatre intervenant entre autres, en milieu pénitentiaire auprès de jeunes condamnés pour radicalisation.

La grippe, la Covid ont sévi, 2 professeurs n’ont pu emmener leurs classes.

Seules 2 classes (une de seconde et une de première) des lycées Pablo Picasso de Fontenay sous-bois et du lycée Fresnel (Paris 15ème) ont assisté à cette séance et nous les remercions.

Guillaume Monod explique que avant 2012, on ne parlait pas de radicalisation, il ne voyait en consultation que des jeunes avec des problèmes de cannabis, de vols etc…

Depuis 2015, à la maison d’arrêt de Villepinte, le problème de radicalisation a flambé.

Une professeure : « Comment dans le milieu scolaire, peut-on voir les différentes dérives? Repérer les sectes? »

Guillaume Monod : Les sectes sont souvent de petits groupes, le chef réduit ses proies en esclavage, il cible les plus fragiles (chômage etc..) et les enfonce de plus en plus. Dans les sectes il y a le même phénomène de couper les individus de leur entourage, mais la violence n’est pas tournée vers l’extérieur comme dans l’embrigadement terroriste. Dans les sectes, on se coupe du monde. Dans le jihad, on agit sur le monde, on veut devenir des héros, se faire un nom. Le mécanisme est toujours le même, le recruteur fait tout pour les couper de leur famille, LUI a la solution !

– Y-a-t-il un mécanisme psychique ? demande une élève.

Guillaume Monod : Il n’y a pas de profil type du candidat au jihad, mais on constate une fragilité chez certains jeunes et la radicalisation peut être très rapide. Ils ne s’engagent jamais pour de l’argent mais ils s’engagent toujours pour une cause, ils sont sincères, cherchent un idéal. Quand ils partent en Syrie, c’est pour défendre les civils, les enfants qui se font bombarder, ils se battent contre le mal représenté par Bachar el-Assad. La plupart ne connaissent pas l’Islam et ne parlent pas l’Arabe !

Crédit Photo : Jean-François DARS

Mais, comme dit Jacinthe Hirsch, ces jeunes ont besoin de reconnaissance, ils se prennent en photo avant d’accomplir leur mission de héros martyr.

Une élève : Cependant Ali est bien entouré, sa mère, son frère lui montrent beaucoup d’amour. Sa mère lui rappelle que l’Islam est une religion de paix.

Guillaume Monod : Oui mais justement, peut-être qu’Ali ressent de la jalousie vis à vis de son frère, il se perçoit comme un raté en fin de compte. Il a envoyé 123 CV sans réponse positive. Ce qui donne du poids au recruteur : « Viens chez nous, ici c’est ta nouvelle famille, nous sommes tes frères »

L’élève : Est-ce que la famille est le bon endroit pour parler de son mal être ? Avez-vous vu aussi des femmes radicalisées ?

Guillaume MonodC’est justement le génie du recruteur qui accentue subtilement là où ça fait mal. Dans la religion, ce qu’on vend, c’est la virilité. Les femmes embrigadées sont moins nombreuses. Je travaille dans des prisons pour hommes, je n’en ai pas rencontré. Mais ce sont souvent des personnes qui ont été victimes d’agression dans leur jeunesse. Celles qui ont été « souillées », seront purifiées par la religion. Le voile leur sert pour éloigner les hommes…

Un élève : Pourquoi parlez-vous des attentats basques ? Les recruteurs sont-ils payés ? Par qui ? Où les recrute-t-on? Quel est le profil type du recruteur ?

Une professeur : Quid des enfants français nés en Syrie ?

Guillaume Monod insiste beaucoup sur le fait que la violence est un comportement qu’on exploite dans la religion, le sport, la politique ou autre. La question, c’est de croire en un idéal, pas forcément violent mais le recruteur leur fait croire que la violence est nécessaire.

Pour le recruteur, oui, il y a un profil type : c’est toujours un pervers narcissique :

  • Un pervers : celui qui trouve son plaisir à arriver à faire faire une action aux autres, à les diriger, c’est la manipulation. Eux-mêmes ne veulent pas accomplir cette action. Le recruteur les envoie réaliser l’attentat mais lui-même reste bien à l’abri. 
  • Narcissique : c’est l’amour de soi. Guillaume Monod rappelle le mythe de Narcisse, amoureux .de son reflet. Les pervers narcissiques développent un ego tel, qu’ils ont besoin d’être le point névralgique, ils n’existent qu’au travers de leurs victimes.

Qu’il s’agisse des attentats basques ou islamistes, c’est la même manipulation, le recruteur aime manipuler quelle que soit la cause. Il faut rappeler que « idéologie » n’est pas « violence », la violence est un comportement, mais on fait croire aux victimes de cette manipulation qu’il faut en passer par là !

  • D’ailleurs les 3 recrues ont un profil différent :
  • 1 agit par conviction religieuse
  • Ali s’engage pour venger son père. Il est content d’être comparé par sa sœur à Ben Laden, qu’il considère comme un héros !
  • Le 3ème est violent, il n’a pas d’idéal mais il est perdu, chassé de chez lui après avoir tabassé un homme qui tenait des propos racistes. Il n’a pas su parler, son seul recours était violent et il a perdu ses liens. C’est justement le seul qui a peur et se sauve à la fin juste avant de commettre l’attentat. 

Quid des enfants?

Guillaume Monod explique :  la radicalisation des petits de 4 à 6 ans n’existe pas, ils ignorent ce qu’est la mort, ils ne comprennent rien à l’endoctrinement, c’est une erreur de penser que les enfants d’islamistes sont perdus. Mon expérience de pédopsychiatre le confirme. 

Crédit Photo : Jean-François DARS

Enfin une question de Mémoire 2000 : Y-a-t-il une prévention possible de la radicalisation ?

Guillaume Monod : Il y aura toujours des gens qui auront besoin d’un « gourou » pour avancer. Il est important de faire de la prévention sur les mécanismes qui font que les gens se trouvent embrigadés malgré eux. Il ne sert à rien de dire « tuer des gens c’est mal » tout le monde le sait. 

Le thème de cette séance était difficile et a peut-être bloqué les prises de parole des élèves. Mais ils sont restés attentifs et ont applaudi à la fin de débat. 

En sortant, une élève m’a dit « j’ai compris en tout cas qu’un musulman n’est pas un islamiste, mais qu’il faut se méfier des prêches qui endorment notre vigilance » !

Cette réflexion en aparté nous donne du courage pour continuer sans relâche nos rencontres avec les jeunes pour tenter de prévenir les dérives haineuses.

Pour compléter cette séance, voici un lien où vous pourrez consulter les témoignages de Guillaume Monod à propos des sujets radicalisés en milieu carcéral : https:/www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2022-9-page-40.htm (Cliquez sur le lien pour accéder à la page internet)

Joëlle Saunière

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