Benjamin Stora a remis au président Macron, un rapport sur “les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie” le 20 janvier. L’objectif de ce rapport commandé par le chef de l’état : une tentative de réconciliation basée sur une recherche commune de la vérité historique. La revue Historia consacre, ce mois-ci, un dossier à la conquête de l’Algérie 1830-1902, intitulé “Ces vérités qui dérangent”. Ce dossier rappelle ou plutôt nous apprend, car ce moment de l’Histoire de France ne fait pas partie des programmes scolaires, le niveau de violence extrême de la colonisation qui débuta par quarante ans de massacres, présentés à l’opinion comme une pacification. En réalité : “enfumades” et “emmurades” de centaines de civils, pillages et massacres des populations.
Selon Benjamin Stora, remonter jusqu’aux origines de cette colonisation féroce et passée sous silence doit permettre de renouer des relations apaisées avec l’Algérie, alors que de part et d’autre de la méditerranée, chacun reste fixé sur les tragédies de la guerre d’indépendance qui mit fin à la colonisation. Durant ce moment oublié de la conquête, les populations locales ont été considérées comme des peuplades primitives qu’il convenait de mater, asservir, terroriser, spolier en toute impunité. C’est plus tard, dans le sillage des conquérants, que des peintres et des écrivains vont lancer la mode de l’orientalisme à travers des tableaux d’un orient fantasmé. C’est ainsi qu’à la fin du XIXème l’Algérie a accueilli un tourisme colonial. Tenter d’établir des connaissances partagées et non des visions projetées de part et d’autre est la base d’une réconciliation. Le rapport recommande la mise en place d’une commission “Mémoire et Vérité” chargée d’impulser des initiatives mémorielles communes entre la France et l’Algérie et de formuler des recommandations sur les 22 propositions énoncées.
Parmi celles-ci, des commémorations qui concernent la guerre d’Algérie (19 mars 1962, date des accords d’Évian), 17 octobre 1961 (répression des travailleurs algériens en France) et d’autres autour de la participation des européens d’Algérie à la seconde guerre mondiale, ou des harkis dans la guerre d’Algérie. Est aussi proposé un recueil de témoignages de ceux qui furent frappés douloureusement par cette guerre afin d’établir plus de vérités.
Les propositions reviennent sur les séquelles des essais nucléaires en Algérie, sur le partage des archives historiques, sur les disparus de la guerre, sur la sombre question des restes humains de combattants algériens du XIXème siècle conservés au Muséum nationale d’histoire naturelle, sur la mise en place d’une commission mixte d’historiens français et algériens pour faire la lumière sur les enlèvements et assassinats d’Européens à Oran en juillet 1962 et sur la préservation des cimetières européens et juifs en Algérie. Sujets sensibles et essentiels, qu’il convient d’approcher par un travail partagé et patient entre chercheurs des deux rives.
Les propositions mettent aussi en valeur des figures de la résistance algérienne comme l’émir Abd el-Kader qui mena la lutte contre la colonisation française à ses débuts avant sa reddition en 1847 et son incarcération en France. Une stèle à son effigie pourrait être érigée à l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie en 2022. Autres propositions d’apaisement : que la France reconnaisse l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel, dirigeant nationaliste algérien, en 1957 pendant la bataille d’Alger. L’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi, avocate et militante contre la guerre d’Algérie.
Enfin, des projets d’expositions, de colloques, d’ouverture d’un musée, tout ce qui peut permettre une meilleure connaissance commune de ce passé pour nettoyer les cicatrices jamais refermées en France et en Algérie.
Cet ensemble de propositions s’affronte à une complexité extrême qui mêle les questions identitaires (intégration de la jeunesse issue de l’immigration) diplomatiques et historiographiques. Il propose “modestement” de dresser des “passerelles sur des sujets toujours sensibles.” Pour l’instant, la presse algérienne s’est fait l’écho de nombreuses réactions négatives. Du côté de l’Elysée, le 2 mars, le président Macron a reconnu, ”au nom de la France” que l’avocat algérien Ali Boumendjel avait bien été “torturé puis assassiné” après avoir été “arrêté par l’armée française”. Démentant ainsi officiellement la version du suicide qui avait été donnée à sa veuve par les autorités coloniales. Un nouveau pas nécessaire vers la vérité. Benjamin Stora défend l’idée d’une “politique des petits pas”, un travail partagé sur l’Histoire et la mémoire, autre méthode que la présentation d’excuses, réclamées pour l’instant, par l’Algérie.
Apaiser les mémoires n’est pas un chemin semé de roses, le sentier est étroit, abrupt et bordé des précipices des violences passées. Mais il importe de commencer à le parcourir.
Jacinthe Hirsch