On pourrait imaginer qu’en période de crise grave, comme celle que nous traversons avec la covid 19, les “gens” et plus particulièrement les Français, mettraient de côté leurs bas instincts et que prévaudraient l’union nationale, la solidarité et l’empathie.
Hélas, l’humain est ainsi fabriqué que même dans les moments les plus tragiques de son histoire, pour certains, les haines, les intolérances, le racisme et l’antisémitisme ne connaissent aucun répit voire s’accentuent. En mars dernier sur son site, France Inter annonçait : “Caricatures, insultes, accusations complotistes… depuis de début de l’épidémie, les messages de haine à l’encontre de personalités identifiées comme “juives” essaiment sur les réseaux sociaux et certains forum. Des plaintes ont été déposées.” Particulièrement visée Agnès Buzyn a été caricaturée en train d’empoisonner un puit afin de répandre la maladie. Image, éculée, reprenant les poncifs moyenâgeux…Décidément l’antisémite manque d’imagination!
Pour faire bon poids, ces mêmes réseaux ont associé à Agnès Buzyn, son mari accusé d’avoir empêché Didier Raoult de publier ses résultats et Jérôme Salomon d’avoir liquidé les stocks de masques.Le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA) a bien repéré cette résurgence d’une haine des juifs sur internet en lien avec l’épidémie. Il a d’ores et déjà déposé une douzaine de plaintes en lien avec des contenus antisémites liés au Covid-19. Comment expliquer ce déferlement antisémite sur les réseaux ? Le politologue et sociologue Pierre-André Taguieff, décortique le phénomène : “Dans la mise en accusation d’Agnès Buzyn, d’Yves Lévy et de Jérôme Salomon, dont la commune judéité est soulignée par les caricaturistes, la dénonciation complotiste s’entrecroise avec une incrimination de complicité dans une opération criminelle, dans laquelle on peut voir une forme dérivée de l’accusation de meurtre rituel. Résurgence d’une mentalité archaïque »… Il y voit le retour d’un stéréotype en la figure du juif bouc émissaire : « l’hypothèse selon laquelle, dans les situations d’incertitude et de désarroi, lorsque se propage le sentiment d’une menace et que les explications officielles ne satisfont pas l’opinion, les Juifs sont accusés d’être liés d’une manière ou d’une autre au phénomène qui provoque des peurs, voire des paniques. »
C’est facile, ça ne mange pas de pain, et ça marche! Bref quand rien ne va de par le monde, il est encore et toujours pas très bon d’être juif.
Dans cette surenchère d’ignominie et de bêtise, les juifs n’ont pas l’exclusivité : les noirs y tiennent aussi une bonne place.C’est ainsi que – dans un autre genre – l’on a pu voir fin août, la députée de la France Insoumise, Danièle Obono, caricaturée dans l’hebdomadaire Valeurs actuelles. On la reconnait en esclave enchainée par le cou pour illustrer le roman d’été du journal où, disent-ils, “chaque semaine un personnage emprunte les couloir du temps” et où ils avaient décidé que la députée Insoumise “expérimenterait la responsabilité africaine dans les horreurs de l’esclavage”… On reste pantois!!
Danièle Obono a porté plainte contre le journal en arguant que « l’on ne peut pas faire cela impunément. Cette affaire n’est pas un contentieux privé entre une femme politique insoumise noire et un hebdomadaire d’extrême droite. Il s’agit d’un combat universel contre le racisme ». Elle souhaite que « justice soit faite, pas seulement pour [elle], mais pour toutes celles et ceux qui ont été renvoyés, par ce texte raciste et xénophobe dans son essence, à un “chez eux” imaginaire loin de la France ». Après le tollé soulevé par cette illustration, Valeurs actuelles a présenté ses excuses. Mais dans ces cas là, comme toujours, le mal est fait car ce genre de publication libère la parole et certains se sentent alors autorisés à y aller de leurs commentaires ignobles… ce qui n’a pas manqué de se produire.
S’agissant des caricatures, d’aucuns objecteront que ce que l’on accepte pour certains, à savoir les islamistes, on ne l’accepte pas pour d’autres : les juifs, les noirs…brandissant l’inoxydable “deux poids, deux mesures”. La caricature a toujours existé dans la presse française. Il s’agit d’un mode traditionnel journalistique procédant de la liberté d’expression “nécessaire dans une société démocratique”, tout comme a été supprimé en 1789, le délit de blasphème. Cependant la loi impose des limites, car si la caricature doit avoir un but humoristique, elle ne doit pas dégénérer en diffamation, injure ou discrimination avec intention de nuire.
Il convient donc de faire le distinguo entre ce qui est de l’ordre de la liberté d’expression ; sacrée en France, et de ce qui relève du racisme et de l’antisémitisme considérés, non comme des opinions, mais comme des délits passibles de poursuites.Dans un Etat laïc caricaturer une religion ou ses représentants est un droit inaliénable. Disqualifier des personnes à raison de leur origine est un délit : toute la différence est là et le procès de Chalie Hebdo qui se déroule en ce moment en est la douloureuse illustration.
Lison Benzaquen