Journal N° 100 : la manifestation contre l’antisémitisme du 19 février 2019 et l’antisémitisme français contemporain

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(Manifestation du 19 février 2019, image France 24)

Rappelons d’abord que depuis 2006, onze personnes ont été tués en France du seul fait qu’ils étaient juifs, ce qui n’était jamais arrivé depuis la fin de l’occupation allemande. L’antisémitisme, cette haine si particulière qui vise les juifs, manifeste une fois encore son essence radicalement meurtrière. La haine ou la phobie des autres religions n’ont tué personne en France parmi les chrétiens ou les musulmans…

Le nombre d’actes antisémites recensés en France sont passés de 311 en 2017 à 541 en 2018. Mais ces chiffres sont minorés (de nombreuses personnes ne déposent pas de main courante ou de plainte) et ils ne permettent pas de prendre la mesure de la dégradation de “l’air du temps”. Un climat anxiogène et de violence antisémite verbale ou/et physique qui règnent dans certaines écoles de la République, en particulier dans le département de la Seine Saint-Denis, sur les campus universitaires, dans certains quartiers communautarisés mais aussi dans les “beaux quartiers”, jusque dans les cimetières (profanations notamment en Alsace)…

La dernière enquête de La Fondation du Judaïsme Français et Ipsos de novembre 2016 permet d’y voir un peu plus clair sur les grandes tendances de l’opinion publique française vis-à-vis de leurs compatriotes de confession juive.

– La très grande majorité des Français pensent que les juifs sont bien intégrés en France (88% des Français pensent que rien ne peut excuser un acte ou une parole antisémite ; 86%  pensent que les juifs sont des Français comme les autres).

– Plus de la moitié des Français pensent que les juifs ont raison d’avoir des craintes de vivre en France.

– Mais presqu’un Français sur quatre approuve la plupart des affirmations antisémites “testées” dans l’enquête, dont près de 39% chez les sympathisants du RN (parti de Marine Le Pen) et 50% chez les musulmans.

Cette enquête met en évidence une réelle montée de l’antisémitisme, mais aussi le très large rejet de l’antisémitisme par une majorité des Français.

Depuis le 17 novembre 2018, le mouvement des Gilets Jaunes manifeste chaque samedi en France. Initié d’abord par un rejet d’une hausse des taxes sur le carburant, ce mouvement a ensuite développé une critique des orientations politiques, fiscales et sociales du gouvernement actuel et du Président de la République. Même si les classes populaires et moyennes y sont surreprésentées, ce mouvement dépasse les clivages politiques habituels et il a rassemblé et rassemble encore des centaines, des dizaines de milliers de Français. Parmi ces manifestants, évidemment, certains sont antisémites… Attaques verbales ou pancartes de manifestations contre Emmanuel Macron, ciblé en tant qu’ancien banquier de la banque Rothschild par des clichés antisémites ; signes de la quenelle (salut nazi inversé) et chant de la quenelle de Dieudonné par des manifestants le 22 décembre 2018 ; croix gammées taguées sur des portraits de Simone Veil  à Paris le 11 février ; violente attaque verbale le 16 février contre Alain Finkielkraut, traité notamment de “sale sioniste” par un individu identifié comme un converti proche du mouvement salafiste, etc. Ces actes antisémites sont inspirés par différents types d’antisémitisme que nous voyons rarement s’exprimer publiquement et dans la même séquence historique : des antisémites identitaires et racialistes, des antisémites antisionistes, des antisémites islamistes, des antisémites négationnistes, des antisémites néo-nazis. Mais rien n’indique que le mouvement des Gilets Jaunes soit plus antisémite que le reste de la population française. Les thèses complotistes du “grand remplacement” et les expressions de racisme et d’antisémitisme sont très largement rejetés par les figures les plus connues de ce mouvement (qui n’est pas hiérarchisé et n’a pas de porte-paroles)  et par la majorité des manifestants du samedi.

Une très large majorité des Français rejettent l’antisémitisme. Toutes les institutions de la République, l’ensemble des corps intermédiaires, le gouvernement, le Président de la République rejettent non seulement l’antisémitisme, mais sont engagés à défendre la place des Français juifs dans la nation. C’est une différence fondamentale avec le climat des années 1930.

Mais le combat pour réduire l’antisémitisme à une partie insignifiante de la population sera long et difficile.

Si la presse documente et interroge enfin les nouvelles formes d’antisémitisme, les condamnations judiciaires des figures de proue de l’actuel antisémitisme français (Alain Soral condamné à un an de prison ferme en janvier 2019 pour propos antisémites ; Boris Le Lay, blogueur identitaire, antisémite, raciste et homophobe, en fuite au Japon ; Dieudonné, condamné pour propos antisémites) ne semblent pas avoir d’effets sur leur large public, uni dans la haine du juif fantasmé, obsessionnelle.

L’effet pervers des réseaux sociaux (Facebook, Twitter notamment), qui permettent aux antisémites de diffuser insultes et mensonges, sera difficile à contrecarrer sans porter atteinte à la liberté d’expression.

La fragmentation de la société française, la communautarisation, l’extrémisme religieux qui gagne une partie des esprits, l’objectif d’ethnicisation de la société par des associations prétendument antiracistes et/ou décoloniales, les critiques et les atteintes au modèle français de laïcité (avec une responsabilité particulière des deux derniers et de l’actuel Président de la République) sont autant de forces négatives qui affaiblissent le contrat républicain. Il n’est pas surprenant dès lors que la haine et la violence antisémites, mais aussi racistes (des chasses à l’homme viennent d’être menées contre des Roms en banlieue parisienne), se déchaînent…

Le combat contre l’antisémitisme sera de longue haleine, indissociablement lié au combat contre le racisme, et à la refondation de notre pacte républicain.

L’antisémitisme n’est pas le problème des juifs et le racisme celui des personnes victimes de racisme. Il est celui de chacun et chacune d’entre nous. Mémoire 2000 à travers son engagement auprès des jeunes continuera d’y prendre sa part.

Rose Lallier

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