Journal de Janvier 2018 : La traite d’êtres humains

Le 18 octobre, journée européenne de lutte contre la traite des êtres humains, Mémoire 2000 a été invité par la mairie de Paris à une conférence : Lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation par le travail : état des lieux et moyens d’agir à Paris.

Avant les prises de paroles, nous avons visité l’exposition “esclaves aujourd’hui en France” : photos d’immeubles anodins sous lesquelles est affiché le récit du parcours des victimes, esclaves domestiques, devenus des “invisibles”. La conférence s’ouvre par le témoignage d’Henriette Siliadin, ancienne victime venue du Togo en 1994. Confiée par ses parents à une dame qui promet de lui faire faire des études et de lui obtenir des papiers, elle comprend, dès le premier soir à Paris, qu’il n’en est rien. Pas de chambre, pas de lit, pas de repas. Le lendemain matin, l’obligation de travailler sans salaire. Nourrie de restes, elle s’occupe de trois enfants et sa “patronne” devient de plus en plus exigeante. Cosette des temps modernes, elle tient bon grâce à l’affection des petits contre les insultes de leur mère. Elle hésite, dans le désespoir : “Si je passe par la fenêtre, ma souffrance sera finie. Je suis au 13ème étage. Mais je ne peux pas me suicider parce que, alors, le mal aura gagné”. Après des années d’exploitation, lorsqu’un soir, sa patronne en colère lui verse un seau d’eau sale sur la tête, Henriette ose aller sonner chez une voisine pour demander de l’aide. Après avoir entendu son récit, la voisine lui dit “personne ne te croira. Mais tu peux venir manger et te reposer ici, quand tu peux t’échapper”. Lorsque, enfin, quelques mois plus tard, des policiers se présentent, sa patronne veut faire croire qu’elle vient d’arriver et qu’elle n’a pas de papier. Mais Henriette réussit à faire entendre sa situation. Placée dans une famille d’accueil, elle reçoit l’aide du Comité Contre l’Esclavage Moderne. Des années après, ayant fait des études et fondé une famille, elle témoigne en souriant avec beaucoup d’émotion : “Je m’en suis sortie, je ne vais pas me taire”. Sylvie O’Dy, vice-présidente du CCEM, présente la carte des 141 victimes trouvées à Paris, chiffre très en dessous de la réalité, et précise qu’il est très difficile de faire reconnaître et condamner ces pratiques qui abusent de la vulnérabilité d’êtres humains. Le nombre de poursuites et d’actions pénales est extrêmement limité. Les victimes sont cachées, confinées. Leur souffrance est invisible. Le 5 aout 2013, la loi sur la traite des êtres humains entre dans le code pénal. Auparavant la loi permettait de poursuivre pour travail forcé. La lutte judiciaire contre la traite en est à ses premiers pas. Il y a très peu de poursuites et pratiquement pas de condamnation. Les instructions sont très longues, d’autant plus si les informations doivent être trouvées hors des frontières. Mme Vermeulen, substitut du procureur de Paris explique la difficulté : c’est au parquet d’obtenir la charge de la preuve de la traite. Les preuves sont difficiles à établir, il y a risque que la cour relaxe les accusés. Les poursuivre pour travail forcé permet d’obtenir une condamnation certes moindre mais effective. L’OCLTI, Office Central de Lutte Contre le Travail Illégal travaille en lien avec le CCEM sur l’accompagnement des dossiers. Son représentant présente une autre difficulté, les victimes vivent parfois le syndrome de Stockholm : “J’étais à la rue, il m’a sauvé, donné du boulot et un toit.” Ou simplement : “Je sais que je suis exploité, mais je peux quand même envoyer un peu d’argent à ma famille.” Ainsi, les victimes hésitent à témoigner.

La table ronde réunissait de nombreux acteurs engagés dans ce combat peu connu et complexe. En effet, la traite des êtres humains et le trafic illicite de migrants sont deux réalités bien différentes. Un migrant clandestin ne peut pas être assimilé à une victime de traite des êtres humains. Mais l’extrême vulnérabilité des migrants – qui plus est s’ils sont mineurs – et les mécanismes d’endettement liés aux déplacements peuvent entraîner des situations de traite sous couvert de dettes à rembourser ou d’une pseudo-protection. La traite des êtres humains est un fléau qui traverse les époques et les continents. Ses auteurs profitent des fragilités liées au contexte économique, social, géopolitique ou climatique. Et ces auteurs sévissent aussi en France, en toute invisibilité.

Jacinthe Hirsch

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