Encore une nuit de terreur, encore des attaques terroristes, encore à Paris. Encore des victimes en masse. Encore des destins brisés.
— Madame ! Arrêtez-vous. Si vous faites un pas de plus, vous allez vous faire tirer dessus. Le policier m’interpelle, fermement. Mais je ne peux pas m’arrêter. Je dois aller plus loin, le plus loin possible, le plus près de l’horreur. Ce n’est, mal- heureusement, pas la première fois, à Paris, à Madrid ou à Oslo. Ce n’est évidemment pas par un quelconque goût morbide que je cherche à aller au plus près, mais par nécessité, pour pouvoir témoigner de l’insupportable, de l’atroce.
Cette fois, il ne s’agit pas d’une bombe qui a explosé, mais de tirs continus. Même les journalistes sont tenus à une certaine distance, à 200-300 mètres du Bataclan. Mais nous voyons tout. Le ballet interminable des voitures de police, de pompiers et des ambulances. Les professionnels (impossible de les distinguer dans la nuit) avec leurs gilets fluorescents, les gyrophares.
Attendre des heures dans la nuit, avec seulement des informations saccadées et une visibilité de plus en plus limitée, est de plus en plus insupportable. Je comprends que le drame qui se joue tout près est particulièrement atroce, particulièrement meurtrier. Lorsque nous entendons des explosions et des nouveaux tirs, c’est intenable. Puis la nuit, de nouveau silencieuse, reprend le dessus. Sentiment irréel, que j’ai déjà connu. A Madrid en 2004, mais surtout dans mon propre pays en 2011, avec les attentats d’Anders Breivik. Vingt minutes avant que la première bombe explose à Oslo, j’étais sur la grande place de la ville, tout près de là où la première bombe avait explosé. Pour le massacre de jeunes d’Utøya, on ne l’apprit que plus tard dans la soirée. Le nombre de victimes fut tout d’abord complètement sous-estimé. Ça ne paraissait pas possible qu’un tireur isolé (Breivik) puisse atteindre autant de victimes, en une heure (69). C’est là que les deux attentats commencent à se ressembler. Par le nombre et le pro- fil des victimes. Breivik, tout comme les tueurs du Bataclan, ne supportaient pas ces jeunes, heureux et joyeux. A leurs yeux de fous, ils devaient mourir, punis pour, dans le cas de Bataclan, aimer la musique, et d’Utøya aimer la politique, le vivre-ensemble et l’été.
Breivik et les tueurs de Paris ont d’autre chose en commun, et notamment la préparation minutieuse de leurs actes, exécutés avec un grand professionnalisme. Mais alors que Breivik fut seul, les terroristes du 13 novembre furent nombreux, et sans doute avec un commanditaire éloigné, suivant les évènements au loin. Un membre du commando, on le sait, est revenu sur les lieux pendant la fin des opérations. Où se trouvait-il ? Il ne pouvait pas s’approcher davantage que les journalistes. Se cachait-il parmi nous ? Pas impossible. Rétrospectivement, j’en ai froid dans le dos. Mais c’est cela leur force. Ils sont parmi nous jusqu’au moment où ils passent à l’acte, insensé.
Tout le monde le disait : il va y avoir des attentats sanglants à Paris. Ils ont eu lieu. Tout le monde nous dit maintenant : il va y en avoir d’autres. Certains par- lent d’une menace réelle au moins pour les dix ans à venir. Inutile de se terrer chez soi, de peur. La meilleure réponse est de continuer à vivre, comme avant. Ils ne doivent pas gagner.
Même pas peur!
Vibeke Knoop