
Nul n’est besoin de souligner le rejet presque unanime dont les Roms sont aujourd’hui l’objet en France. Bien sûr, certains commettent de menus larcins et tombent sous le coup de la loi. D’autres font partie de mafias transnationales “spécialisées” dans le trafic d’êtres humains (prostitution, vente d’enfants formés au vol dès l’âge de 5 ou 6 ans notamment) et sont poursuivis par les forces de police. Mais ces petits délinquants ou ces grands criminels ne concernent qu’une minorité des vingt mille Roms qui vivent en France. L’immense majorité des Roms a immigré dans notre pays en raison des discriminations, voire des persécutions, dont ils sont victimes dans leur pays d’origine, en particulier la Slovaquie, la Roumanie et la Bulgarie, et de l’extrême misère dans laquelle ils y vivent. Les adultes Roms de France partagent les mêmes aspirations que celles des adultes immigrés du monde entier : donner à leurs enfants une meilleure éducation et les chances d’un avenir et d’une vie meilleure que la leur.
Un préjugé tenace contre les Roms, fondé sur l’ignorance, font d’eux des nomades, alors que la quasi totalité des Roms d’Europe de l’Est sont sédentaires depuis près d’un siècle… C’est en France qu’ils sont devenus des migrants forcés, ballottés d’un endroit à l’autre, en raison de la politique de démantèlement des campements, illégaux certes, mais sans solution de relogement (la Cimade et Médecins du Monde estiment qu’une personne Rom en île de France est expulsée près de 3 fois de son “habitat” par an).
Un autre préjugé est le soi-disant refus des Roms de scolariser leurs enfants. Si de nombreux enfants Roms n’ont pas été scolarisés en Europe de l’Est pendant la décennie 1990, c’est en raison de l’effondrement économique et social qui contraignit leurs parents à les faire travailler avec eux, à l’instar de parents d’enfants très pauvres des pays du tiers-monde… Ces parents avaient été scolarisés, ils avaient scolarisé leurs enfants jusqu’à la fin des années 80, et ils scolarisèrent à nouveau leurs enfants dès que leur situation matérielle se fut “stabilisée” au début du nouveau millénaire. Plusieurs témoignages directs que nous avons recueillis ont confirmé ce que des études de l’Union Européenne avaient déjà révélé en ce sens. Et l’immense majorité des adultes Roms sait que l’espoir d’un avenir meilleur pour leurs enfants, précisément parce qu’ils souffriront du racisme, passe par la scolarisation. Si seulement la moitié des enfants Roms vivant en France est aujourd’hui scolarisée, c’est en raison de la précarité et l’instabilité de leur “habitat”. Dès que des familles Roms ont un hébergement au moins pour la durée de l’année scolaire, leurs enfants vont à l’école…
Ils s’appellent Sébastian et Mihaela, Alin et Narcis, ils ont 10 et 8 ans, 6 et 4 ans. Leurs familles ont été logées pour l’année par le Samu social. Ils ont fait leur rentrée scolaire comme tous les autres enfants de France le 2 septembre dernier. Leurs sourires, leur joie, la fierté de leurs parents sont la plus belle récompense du groupe d’amis qui a pu leur venir en aide. Les uns ont acheté les premières fournitures scolaires, les autres ont accompagné ces enfants et leurs parents, qui parlent mal le Français et sont intimidés pour leur premier jour de classe. Des enfants habillés et coiffés avec soin, avec amour…dans la culture tsigane, la plus grande richesse, la plus grande bénédiction est celle des enfants.
Les directeurs des écoles primaires et maternelles, à Argenteuil, dans le 4° arrondissement parisien, ont reçu ces enfants comme tous les autres enfants de la République. Leurs maîtresses aussi, avec une attention particulière dans les jours qui ont suivi pour leur bon apprentissage de la langue française. Sollicitée en urgence la veille de la rentrée scolaire pour une radiation indispensable à l’inscription dans une nouvelle école, la directrice de l’école primaire de la rue des Vertus, dans le 3° arrondissement, délivra immédiatement le précieux sésame. Elle se souvenait parfaitement de Sebastian. Le jeune garçon n’avait pourtant été scolarisé dans son école que deux mois l’année précédente. Cette directrice avait organisé des petits déjeuners en salle des profs pour lui et sa jeune soeur, et la possibilité pour eux de prendre une douche et de se changer…Ces deux enfants dormaient parfois à la rue avec leurs parents. Et puis la famille avait été logée quelques temps en grande banlieue et les enfants n’étaient pas retournés à l’école. “Il est très bon en mathématiques !!” nous a t’elle dit. Paroles rapportées à l’enfant et sa famille, paroles qui les ont rendus fiers. Ainsi donc, une directrice se souvenait de lui ?! Ainsi donc, il faisait partie de la communauté des élèves ?
La scolarisation des enfants Roms de France est un droit, leur droit d’être humain à part entière. C’est aussi notre devoir républicain. Et bonne nouvelle, l’École de la République tient bon ! Le dévouement et l’humanité des enseignants et directeurs que nous avons rencontrés ravivent l’espoir.
Rose Lallier