Journal d’Avril 2014: Les effets de la guerre de 1914-18 sur la condition féminine en France

La grande guerre, et les bouleversements radicaux qu’elle a entrainés, a-t-elle permis l’émancipation féminine ?

Avec la mise en place de l’économie de guerre et la mobilisation de millions de soldats, les Françaises remplacent les hommes dans l’industrie, notamment de l’armement (les munitionnettes), le secteur tertiaire et l’agriculture où elles deviennent de facto responsables des exploitations agricoles. Elles se retrouvent “chef” de famille, et doivent assumer seules l’éducation des enfants. Leurs maris partis au front, les femmes prouvent alors qu’elles peuvent remplacer les hommes, et elles apparaissent comme des mères courage et des femmes fortes lors du retour des hommes, dont nombreux sont blessés ou durablement affectés par l’horreur des combats et la violence.

La réponse à la question de l’émancipation féminine doit être nuancée.

Sur le plan juridique, les Françaises n’ont bénéficié d’aucun nouveau droit malgré les campagnes des associations féministes, notamment des suffragettes. A la différence de leurs consœurs britanniques, allemandes, hollandaises, belges etc., les Françaises devront patienter jusqu’en 1944 pour obtenir le droit de vote.

Sur le plan social et sociétal, la guerre n’a pas été favorable à une évolution importante des rôles sexuels, comme l’ont montré les travaux pionniers de Françoise Thébaud (Les femmes au temps de la guerre de 14, Payot, rééd. 2013). La majorité des hommes désirent le retour à la situation antérieure et les gouvernants développent une obsession nataliste qui entraîne un large consensus sur le devoir maternel des femmes. Les Françaises de 1919 sont cependant très différentes de celles qu’elles étaient en 1914, et trois modèles de femmes apparaissent. Si le modèle de la mère reste dominant et très largement majoritaire, le modèle de la femme seule, active mais célibataire et chaste (poids de la religion) émerge nettement, tandis que le modèle de la femme moderne apparait dans les classes moyennes et aisées, “garçonne” qui cristallise les peurs avec ses jupes et ses cheveux courts, ses attitudes sociales (elle fume, fait du sport, sort et voyage seule) et idéologiques (féminisme).

Sur le plan économique, travailler devient acceptable et légitime pour les femmes des classes moyennes et aisées (de nombreuses femmes travaillent déjà avant 1914 dans le monde ouvrier). Le décret Bérard (1924) crée l’équivalence entre les baccalauréats masculin et féminin. Le secteur tertiaire se féminise, avec entre autres, la professionnalisation du métier d’infirmière.

Sur le plan culturel, un processus lent de transformation se met en oeuvre avec la mixité des lectures enfantines et des mouvements de jeunesse, une relative ouverture de la vie publique avec la nomination de conseillères municipales à voix consultative et l’entrée de trois femmes à des sous-secrétariats d’État pendant le Front populaire, la reconnaissance de l’expertise d’associations féminines en matière de politique sanitaire et sociale. L’historienne Dominique Fouchard, dans Retour à l’intime au sortir de la guerre (éd. Taillandier, 2009), montre les effets des expériences de guerre dans l’intimité familiale (augmentation des divorces) et l’émergence de nouveaux comportements conjugaux et familiaux, avec la remise en cause de l’autorité paternelle encore inscrite dans le Code civil. Malgré la prégnance des stéréotypes masculin et féminin véhiculés par l’État, l’Église et les médias, de nouvelles conceptions du couple apparaissent, notamment de la part des jeunes filles, qui sont les figures et les agents de la modernité.

Rose Lallier

 

 

 

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