Journal d’Avril 2014: « Cette histoire avec les Juifs! » – Heinrich Himmler

9782259223294_p0_v1_s260x420“Cette histoire avec les Juifs !” – Heinrich Himmler, d’après sa correspondance avec sa femme, 1927-1945, de Michael Wild et Katrin Himmler (traduction Olivier Mannoni), aux éditions Plon (cliquez sur le lien pour accéder au site de l’éditeur)

C’est l’histoire d’un serial killer officiel, devenu après 1933 l’homme le plus puissant après Hitler. C’est également l’histoire d’un Petit Papa attentionné, et d’un mari que sa femme appelle affectueusement “tête de mule”, “méchant petit homme”, “garnement” dans la correspondance qu’ils ont échangée entre 1927 et 1945. C’est surtout l’histoire de l’un (du ?) des plus grands criminels de l’Histoire dont la correspondance, découverte par deux GI américains en 1945, a fini, après de multiples aventures, par aboutir en Israël au début des années 1980.

C’est enfin l’histoire d’un permanent du parti nazi, petit-bourgeois ordinaire, amoureux de la femme allemande idéale qu’il a épousée, aux yeux bleus et aux cheveux blonds, à qui il écrit d’affectueuses lettres où il célèbre son “âme pure” et son “cher corps”.

Dans ses réponses, Marga lui demande de bien prendre soin de sa santé et, au début du moins, lui demande de quitter “ce parti idiot” qui la prive de son cher époux. Il lui répond qu’il dort superbement, lui décrit ses matinées, douche et rasage compris, lui rappelle la nécessité de bien élever les enfants dans l’obéissance inconditionnelle.

Il lui envoie le journal de ses déplacements avec le “chef”, rêve de vie à la campagne, tout en organisant la solution finale de la question juive et en envoyant à sa petite femme, qui parcourt la Pologne occupée au profit de la Croix- Rouge, des “chères pensées pour la Fête des Mères”, des recettes de compotes et des photos de sa vie de grand voyageur. Le tout dans une prose neutre et conformiste, fade et convenue.

Sa conception de la vie : être fidèle, se fortifier pour s’endurcir comme un combattant dans un ordre religieux, ne jamais être “inconvenant”, ne pas abuser de ce qui est bon. Energie, gymnastique quotidienne. Et bon sommeil. A la création du premier camp, Dachau – au départ camp de formation de la SS -, il invite sa femme à aller visiter “le jardin enchanté” qui s’y trouve, centre de recherche allemand pour l’alimentation : Profite bien de la visite à Dachau et salue tout le monde de ma part. Le lendemain de la conférence de Wannsee (dont il est informé  par Heydrich) il écrit à sa chère “Mamette” : Ci-joint cinq doubles tablettes de chocolat que je t’avais promises pour les enfants ; également le fromage blanc dont tu peux avoir tant besoin. – le blanc est au miel et aux amandes, il est très bon.

Le 17 juillet 1942 (Rafle du Vel d’Hiv à Paris), il part pour Katowice et de là se rend à Auschwitz, où il s’intéresse, lors de deux journées de visite, à la plantation de caoutchouc, et aux pépinières. A Birkenau, il observe avec précision “tout le processus de l’extermination”. Parallèlement, il mène une double vie et a deux enfants de sa maîtresse (sa secrétaire…), donne l’ordre de faire disparaître, d’ici la fin de 42, la totalité des Juifs dans le Gouvernement général de Pologne. Il est impossible de citer ici toute l’infamie de sa correspondance, et son étrange dédoublement de personnalité (pathologique ? Ou pas ?). Découragé, il se plaint de la difficulté de sa tâche en raison du nombre insoupçonné d’aryens qui ont leur “bon juif”.

Après avoir assisté à une série d’exécutions à Minsk, il écrit à sa chère famille : J’étais ce matin et cet après-midi avec le Führer et je suis allé me promener avec lui (…). Je vais vraiment mieux ; je peux dire tranquillement : franchement bien. Dans la liste de ses discours retrouvés, il prétend qu’il peut tout supporter au profit de l’Allemagne, qu’il n’est ni brutal ni sans cœur “là où ce n’est pas absolument nécessaire”.

On connaît sa fin : il s’enfuit le 20 mai 1945 après avoir été désavoué par Hitler, se fait arrêter déguisé – moustache rasée et bandeau sur l’œil, et, après avoir décliné son nom, choisit le poison.

Celui qui a expliqué dans un discours célèbre du 5 mais 45 qu’il ne fallait pas laisser les enfants grandir pour devenir des vengeurs de leurs pères, glorifie ceux qui ont “tenu bon” et sont restés “corrects” pendant la période de l’éradication du peuple juif. C’est aussi vrai pour sa famille : Marga, entre la décoration de ses appartements, les bridges et les thés avec les épouses des dignitaires nazis, les vacances en Italie où l’on n’oublie pas de visiter la tombe de Dante et la maison natale de Mussolini, se plaint auprès de son puissant mari : Cette histoire avec les Juifs ! Quand cette bande va-t-elle nous abandonner pour qu’on puisse profiter de la vie (…) J’ai mal dormi cette nuit. Mes pieds ne sont pas très beaux.

N’est-ce pas un exemple de ce qu’il appelle “une page glorieuse de notre histoire, une page qui n’a jamais été écrite et qu’il ne faudra jamais écrire ?”

Colette Gutman

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