Le dernier génocide du XXe siècle s’est déroulé devant les caméras de télévision du monde entier, sans provoquer la moindre réaction internationale officielle. Entre 500 000 et 800 000 victimes Tutsis et Hutus modérés, massacrés à la machette ou à l’arme lourde.
Tout a commencé en octobre 1990 par une guerre civile, lorsque le Front Patriotique Rwandais du Général Kagame a envahi le Nord-Est du Rwanda, et s’est terminé par la victoire du FPR en juillet 1994. La France a été présente sur le terrain, militairement, d’octobre 1990 à décembre 1993, appelée en renfort par le Président rwandais Hutu Habyarimana (Opération Noroît). Nos militaires ont ensuite évacué les ressortissants français et étrangers (Opération Amaryllis, 8 au 14 avril 1994). Puis, sous mandat de l’ONU (Opération Turquoise, du 22 juin au 21 août 1994), une opération temporaire a contribué à la sécurité et à la protection des personnes déplacées, des réfugiés et des civils en danger. Très active au Rwanda dès le début de la guerre civile, la France n’a cependant pas su empêcher le génocide, dont certains l’accusent d’avoir été complice — voire coupable. La question continue de hanter les esprits. L’établissement de la vérité historique – malgré les recherches qui lui ont été consacrées, reste aujourd’hui difficile.
Nombreux sont ceux qui s’accordent aujourd’hui pour conclure à la responsabilité de la France. À droite, Edouard Balladur et Alain Juppé ont refusé cette idée, mais les conclusions de la mission parlementaire présidée par Paul Quilès, en 1998, ont été très sévères : Les erreurs et maladresses de la France ne doivent pas nous faire oublier et sous-estimer le rôle des autres acteurs : la Belgique, qui a abandonné le Rwanda au moment où il fallait y rester, l’ONU, dramatiquement absente ou incapable d’ intervenir, les États-Unis, qui ont, de façon constante et délibérée, contribué à bloquer les décisions du Conseil de Sécurité… Force est de constater que la communauté internationale a fauté au Rwanda, par manque de volonté, que ce soit avant ou après le déclenchement du génocide.
Rappelons que la politique étrangère et de Défense appartient en France aux prérogatives du Chef de l’État, qui n’est pas tenu de saisir le Parlement. Les parlementaires n’ont donc pas été appelés à se prononcer sur la politique française au Rwanda entre 1990 et 1994.
Lors de sa visite officielle de 2010, le président Sarkozy a estimé que des erreurs d’appréciation (de la part de la France), des erreurs politiques ont été commises ici et ont eu des conséquences absolument dramatique […]. Nous voulons que les responsables du génocide soient retrouvés et soient punis, il n’y a aucune ambiguïté.
Complicité? Culpabilité? Les passions se déchaînent au travers de livres, d’articles, de rapports. Les débats opposent les partisans de la culpabilité – malgré le nombre de vies sauvées par l’Opération Turquoise – aux partisans de la complicité. Quoi qu’il en soit, il s’agit très évidemment d’horreur dans les témoignages de rescapés, ce qui doit inciter à continuer à chercher la vérité, près de vingt ans après : enquêtes, commissions parlementaires, rapports d’institutions internationales, ONG, chercheurs. Les informations disponibles sur les causes et les conséquences sont considérables.
Pourtant les conclusions de ces travaux sont contradictoires. Par exemple, personne ne sait encore avec certitude qui sont les auteurs et les commanditaires de l’attentat commis contre l’avion qui transportait les présidents Juvénal Habyarimana (Rwandais Hutu) et Cyprien Ntaryamira (Burundais Hutu) le 6 avril 1994. Les documents français, américains et onusiens restent classifiés. Précision importante: depuis quinze ans, les États-Unis considèrent le Rwanda de Paul Kagame comme l’ un de leurs principaux alliés dans la région stratégique des Grands Lacs et sembleraient réticents aux enquêtes internationales sur les crimes commis par le FPR, malgré les violations massives des Droits de l’ Homme relevées dans de nombreux rapports internationaux incriminant ce même FPR. Il est vrai que l’actuel régime du Paul Kagame a fondé une grande partie de sa légitimité internationale sur la mémoire du génocide des Rwandais Tutsis et le fait qu’il ait mis fin aux massacres. Il souhaite que soit minorée sa responsabilité dans la déstabilisation de la région des Grands Lacs depuis son arrivée au pouvoir.
Ce procès de la France constituerait alors une aubaine (la politique de notre pays en Afrique…) et le Rapport Mucyo, commandé par le gouvernement rwandais en 2008, conclut sans surprise à la complicité active de la France. L’enjeu politique de ce récit serait alors essentiel pour ce régime de plus en plus critiqué pour ses violations graves des Droits de l’Homme.
Après la publication du Rapport Quilès en 1998, Mémoire 2000, par la voix de son Président Bernard Jouanneau, a participé aux travaux de la “Commission d’Enquête Citoyenne sur le rôle de la France durant le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994” (CEC). Cette Commission a réalisé un travail considérable qui établirait la culpabilité de la France, mais de nombreux universitaires et chercheurs pensent malgré tout que les autorités françaises ne sont pas complices ni coupables du génocide des Tutsis.
Le 3 février 2005, la CEC a présenté à la presse son Rapport sous le titre “L’horreur qui nous prend au visage” (éditions Karthala). Au cours de la même conférence de presse, deux avocats parisiens ont présenté les plaintes de trois Rwandaises qui affirment avoir été violées par des militaires français lors de l’Opération Turquoise et ont annoncé le dépôt de plainte par six autre Rwandais pour complicité de génocide et/ou crimes contre l’humanité contre X – des militaires français de la même Opération, à identifier.
Mémoire 2000 met à la disposition de ses membres, de ses lecteurs, de ses adhérents, un document très détaillé, complet et remarquablement documenté rédigé par notre amie Rose Lallier, qui devrait permettre d’y voir plus clair.
Quoiqu’il en soit nous ne cherchons que la vérité et nous serons présents aux côtés des victimes. Mémoire 2000 fait d’ailleurs part de son intervention comme partie civile dans les procès criminels en cours en France, depuis que ses statuts lui en ouvrent la possibilité.
Colette Gutman