Le climat de la rentrée n’incite pas à la divagation ni à la promenade, encore moins aux rêves. Nous nous replierions plutôt sur nous-mêmes, préoccupés de parvenir à joindre les deux bouts, de voir nos enfants et nos petits enfants épargnés par le chômage, en sécurité, dans un monde paisible.
L’ouverture sur autrui et la découverte de la misère du monde sont sur le point de passer au second plan, et pourtant, c’est ce qui fait la différence entre ceux qui ne pensent qu’à eux, à leurs soucis, à leur mémoire à leurs souffrances et à leur culture et ceux qui ouvrent les yeux sur le monde pour s’enrichir de l’infinie diversité et de la différence.
Je sais bien pour l’avoir vécu depuis 20 ans, que ceux et celles qui ont pris le parti de militer au sein de Mémoire 2000 l’ont fait non seulement pour entretenir et pré- server la mémoire de leur origine, mais aussi pour se préoccuper de celle des autres. D’ ailleurs nos statuts qui sont notre pacte et notre règle commune, en font foi.
L’ impérieuse nécessité de s’ engager, comme nous l’avons fait pour œuvrer à la reconnaissance de la primauté du respect universel des droits de l’homme, en nous adressant d’ abord aux jeunes générations, ne relevait pas d’ un réflexe d’ autodéfense, mais au contraire d’une résolution foncièrement altruiste.
Or les autres sont divers et différents de nous et ce n’est pas parce que l’on ne peut prendre en charge toutes les misères du monde qu’on doit restreindre son horizon.
C’ est pour cette raison essentielle que nous avons pris le parti de nous intéresser à la place des étrangers dans notre démocratie, à la lutte contre l’apartheid, à l’égalité des noirs, à la mémoire des Arméniens, aux victimes du Rwanda et de tous le génocides du XX° siècle, au sort des Kurdes et des Palestiniens, au sort des Amérindiens, aux survivances de l’esclavage, aux discriminations dont sont victimes les Maghrébins ou les handicapés et les homosexuels, aux expulsions des Rom, et au respect du droit d’asile, au respect de l’égalité entre les hommes et les femmes, comme à la mémoire des déportés et des victimes de la solution finale. Même si nous ne pouvons pas, faute de moyens, intervenir dans tous ces domaines, il est essentiel que nous par- lions de tous ces sujets à ceux qui nous écoutent et que nous leur ouvrions l’es- prit.
Notre curiosité et notre mobilisation n’ont pas de limites qui pourraient tenir à notre tradition à notre angoisse ou à nos habitudes de pensée. Nous n’avons pas de leçons à donner aux autres, mais un cri, une voix à entendre : celui et celle des hommes qui souffrent dans leur dignité et dans leur mémoire.
À l’heure où certains partis exhalent l’intolérance et prônent le renfermement sur soi même, il est grand temps de réaliser que le salut du monde ne passe par Moi d’ abord ni même seulement par l’appel au patriotisme. La fraternité comme l’égalité qui sont au cœur de nos principes nous obligent à regarder ailleurs et à reconnaître aux autres les mêmes droits que ceux que nous réclamons pour nous. On ne réussira à se faire entendre par les autres que si nous les écoutons et les respectons sans chercher à leur imposer nos croyances et notre religion.
Si nous avons choisi de nous adresser de préférence aux plus jeunes, c’est pour leur donner l’idée un jour de s’occuper un jour eux-mêmes des droits de l’homme menacés ou en péril, où que ce soit dans le monde, au lieu de ne penser à travers Facebook qu’à leurs loisirs. Même s’ils n’ont pas plus que nous à prendre en charge les problèmes des autres, n’ y en aurait- il qu’un qui leur soit étranger auquel ils prêteraient attention, nous aurions déjà réussi.
Les politiques ont à faire leurs preuves dans la gestion quotidienne des intérêts des peuples qui leur sont confiés pour un temps limité, mais nous, nous avons le temps devant nous et le monde entier comme théâtre d’opérations. Puisque nous ne briguons aucun suffrage et que les adhésions que nous espérons toujours ne sont pas notre objectif principal, nous n’avons pas à rivaliser, ni à nous livrer à la surenchère des partis ni à prendre part à leurs affrontements.
Notre réflexion et notre action doivent être plus larges et plus ouvertes sur l’extérieur. L’humanité ne peut survivre et a fortiori faire des progrès que si l’on manifeste une confiance en elle et pour cela il faut s’intéresser vraiment aux autres.
Je propose pour cette année que nous laissions de côté pour un temps nos soucis, nos souvenirs et notre angoisse pour s’occuper aussi de ceux des autres.
À nous de trouver le moyen et l’occasion de le leur dire ou de le leur faire comprendre.
Bernard Jouanneau