
La présence au cœur de l’Europe d’un parti nostalgique du fascisme (Le Jobbik, Hongrie) et la récente percée aux élections législatives grecques d’un parti ouvertement néonazi (L’Aube dorée, 7% des voix) sont des événements particulièrement alarmants, mais ils ne devraient pas occulter le mouvement de fond qui parcourt l’Europe, celui de l’implantation et la progression d’une nouvelle extrême-droite.
Le score élevé de Marine Le Pen aux Présidentielles de 2012, les résultats électoraux récents du Parti des Vrais Finlandais, du Parti pour la liberté autrichien, du Parti pour la liberté néerlandais, du Vlaams Belang flamand, de l’UDC suisse, du Parti du progrès norvégien, du Parti populaire danois sont particulièrement inquiétants, précisément parce que ces partis ont rompu avec l’idéologie fasciste, voire néonazie, qui inspirait les programmes des partis d’extrême-droite jusqu’aux années 1990, ce qui les cantonnait à n’être que des groupuscules politiques insignifiants.
Le souvenir des horreurs de la seconde guerre mondiale, la mémoire de la Shoah, le travail pédagogique effectué depuis trente ans auprès de la jeunesse des différents pays européens ont profondément influencé les esprits, et les mots de George Bernanos restent pleinement vrais aujourd’hui: “Antisémite: ce mot me fait de plus en plus horreur. Hitler l’a déshonoré à jamais”. Rares sont les personnes qui osent se déclarer antisémites ou racistes, les partis d’extrême-droite excluent désormais leurs militants néo-nazis les plus visibles, les dirigeant de ces partis n’hésitent plus à se rendre en Israël pour y déclarer leur amitié et leur soutien à l’Etat juif. La haine de l’autre et la recherche du bouc-émissaire expiatoire ont muté et s’affichent désormais sous des formes qui répondent à l’évolution des esprits et des mentalités.
C’est ainsi que si les partis d’extrême-droite se positionnent sur la question de la mondialisation et du libre-échange en fonction de l’opinion majoritaire des citoyens de leurs pays respectifs, ils défendent généralement des idées libérales sur les grandes questions de société comme l’union libre, le droit à l’avortement, le droit des femmes, le droit des homosexuels. Ces récentes mutations idéologiques brouillent dans l’esprit de certains les frontières qui existent entre l’extrême-droite et les partis de la droite classique.
La nouvelle extrême-droite européenne partage un socle idéologique commun qui se structure autour de l’idée d’une hiérarchie des cultures et des êtres humains, de la xénophobie et du racisme polarisés autour du rejet de l’Islam et des musulmans.
Profitant des tensions sociales qui existent dans nos sociétés marquées par la crise et de forts taux de chômage, les nouvelles extrêmes-droites désignent les musulmans européens ou étrangers à la vindicte populaire. En instrumentalisant les islamistes, ultra-minoritaires parmi les musulmans européens, et les militants du djihad, en polarisant les débats publics sur les questions des pratiques religieuses des musulmans traditionnalistes – le halal, le port du voile – l’extrême-droite cherche à convaincre l’opinion publique que le problème essentiel serait la présence des musulmans, l’Islam étant censé être incompatible avec la démocratie, Geerts Wilders allant jusqu’à demander l’interdiction du Coran en Hollande, Livre sacré qu’il ose comparer à Mein Kampf… Cette disqualification a priori de l’Islam et essentialiste des musulmans qui sont renvoyés à un statut d’éléments nuisibles et ennemis du reste de la population européenne est effrayante et nous rappelle les pires conceptions antisémites du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle. A cela s’ajoute une vision délirante et paranoïaque du poids démographique des musulmans en Europe, notre continent étant censé devenir une terre “musulmane”, ce que démentent toutes les études sérieuses : le think tank américain “Pew Research Center” établit à 6 % le nombre de personnes supposées musulmanes (de par leurs parents) dans l’Europe de 2010, les projections montent à 8 % en 2030. Les démographes Youssef Courbage et Emmanuel Todd montrent que la fécondité des pays musulmans et celle des femmes musulmanes immigrées en Europe chutent fortement et rejoint la faible fécondité des autres femmes européennes.
Ce ne sont pas seulement les mesures réclamées par ces partis – immigration zéro, expulsion de tous les sans-papiers, préférence nationale – qui doivent nous alarmer, c’est la mutation idéologique des extrêmes-droites européennes qui façonnent et désignent toutes le même ennemi supposé de l’Europe et des Européens : les musulmans.
Rose Lallier