Journal de Juillet 2011 : Editorial

ET S’IL NE RESTAIT PLUS QU’ISRAEL POUR RECONNAITRE LE GENOCIDE ARMENIEN ?

Au début du mois de mai, on apprenait que le Sénat avait rejeté par 196 voix contre 74 une proposition de loi socialiste visant à réprimer la négation du génocide arménien de 1915. Cette proposition de loi d’initiative socialiste était attendue depuis le vote par l’Assemblée nationale en 2006 de la même proposition d’initiative parlementaire qui avait été, à l’époque adoptée à l’unanimité.

Le Sénat dont on n’ignorait pas la résistance, a adopté une motion de procédure qui déclare le texte “irrecevable” ; mais chacun a compris qu’une telle motion signait l’enterrement du texte qui ne reviendra pas devant l’Assemblée nationale faute de volonté politique et sans doute à cause du rejet exprimé par la mission d’information parlementaire sur les lois mémorielles qui en a rejeté le principe en 2008.

Nicolas Sarkozy avait promis en 2007, juste avant son élection, aux associations arméniennes de soutenir la ratification par le Sénat de cette proposition de loi volée par l’Assemblée nationale en 2006. Mais sur une question écrite d’un sénateur UMP qui remonte au 1ermars 2011, à laquelle Mme Alliot Marie n’a pas eu le loisir de répondre, c’est M. Juppé qui avait déjà fait savoir que le gouvernement “n’était pas favorable à l’inscription de ce texte à l’ordre du jour du Sénat” et qu’il faudrait se contenter de la reconnaissance du génocide arménien par la loi du 29 janvier 2009 et s’en tenir aux dispositions de la loi sur la presse en matière de provocation à la haine, à la discrimination et à la violence raciale.

On croyait jusque là que dans l’élaboration de la loi, c’est à l’Assemblée nationale que devait revenir le dernier mot, en présence de la résistance de la Haute assemblée. Pour une fois le Sénat aura le dernier mot. Il semble d’ailleurs que l’opposition à l’adoption par le Sénat de ce texte adopté par l’Assemblé nationale l’ait emporté par suite de la rencontre fortuite de l’opposition conjuguée du président de la Commission des lois (M. J.J  Hyest, UMP) et du sénateur socialiste Robert Badinter qui n’a jamais fait mystère de son opposition à l’intervention du législateur en la matière.

Au consensus politique fortuit, s’ajoute ici l’autorité morale et juridique de l’ancien président du Conseil constitutionnel qui a fait valoir le risque de voir déclarer inconstitutionnelles les lois mémorielles qu’il appelle “lois compassionnelles”, en déclarant : “On voudrait donc aujourd’hui ancrer sur une loi inconstitutionnelle de 2001, une nouvelle loi réprimant sa violation. Il s’agit dès lors ni plus ni moins que d’ajouter de l’inconstitutionnalité à l’inconstitutionnalité en formulant une sanction pénale contre une loi elle-même inconstitutionnelle”. Il prédit même une catastrophe en chaîne qui, par le recours prévisible à la question prioritaire de constitutionnalité, pourrait aboutir à l’inverse du résultat escompté. La Cour de cassation vient d’écarter la question à propos de la loi Gayssot et rien ne justifierait que l’on adopte une position différente pour les autres génocides. Pour rassurer nos amis arméniens, mais aussi ceux qui ne revendiquent qu’une égalité de traitement, il nous met en garde contre le cumul d’une faute politique avec une faute constitutionnelle.

Le malheur est que ni le Code civil, ni la loi sur la presse ne suffisent à enrayer le négationnisme turc du génocide arménien. Pour m’y être attelé à deux reprises j’ai du constater que les juges ne voulaient pas s’engager sur le terrain de l’atteinte au respect de la dignité, ni sur la voie de la provocation à la haine raciale (affaire du Quid et de Time Magazine), et ce n’est pas la jurisprudence Lewis de 1995 qui y pourvoira.

On attend sans trop d’illusions, les “actions que le garde des Sceaux Michel Mercier a annoncées pour lutter contre le négationnisme du génocide arménien”. Une circulaire devrait être adressée à tous les Procureurs généraux “qui aurait pour objectif d’annoncer la répression des infractions dont sont susceptibles d’être victimes les membres de la communauté arménienne du fait de leur origine arménienne” et du fait qu’ils ont subi un génocide.On l’attend encore sur Legifrance. Sans compter que la négation des génocides ne concerne pas seulement les survivants de ces génocides, mais l’humanité tout entière, et pas seulement les minorités qui les ont subies, mais la personne humaine que la loi doit faire respecter.

Tant que l’on continuera à différencier les génocides et à méconnaître l’implication de la personne humaine dans leur accomplissement, on en fera la liste en les comparant les uns aux autres pour dégager leur spécificité qui est acquise et qui ne devrait avoir aucune incidence sur la lutte contre leur négation ou leur contestation. On peut enrichir l’histoire et cultiver la mémoire, sans pour autant méconnaître la nécessité de la protection de la dignité humaine. Cette protection revient, quoiqu’on nous dise, aux législateurs.

Dans cette voie on ne peut que saluer l’annonce faite par le président de la Knesset, Reuven Rivlin selon laquelle “La Knesset commémorerait une fois par an en séance plénière, la catastrophe subie par le peuple arménien en 1915 du fait de l’armée turque”, ajoutant qu’il s’agit d’un devoir en tant que juif et en tant qu’israélien de reconnaître la tragédie des autres peuples. “Commémoration” ne signifie pas “reconnaissance du génocide” ni incrimination de la négation. Mais elle émane du Parlement d’un peuple qui s’y connaît en matière de génocide.

Face à ces controverses politiques, judiciaires et historiques, on ne peut pas s’étonner de ce qu’il soit si difficile de mettre à l’ordre du jour de nos séances la question du génocide arménien. S’il n’y a plus que les Israéliens et les Arméniens pour en débattre, le problème est ramené à sa dimension historique, alors qu’il a une vocation humanitaire essentielle.

Bernard Jouanneau

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