NUIT NOIRE
Film d’Alain Tasma
Séance du 9 novembre 2010
Thème : La guerre d’Algérie
Débatteur : Patrick Rotman
Où il se vérifie que les absents ont toujours tort : environ 55 lycéens, avaient répondu à notre invitation à voir le splendide film d’Alain Tasma, Nuit Noire, un film qui traîte de la répression sanglante par la police parisienne d’une manifestation pacifique du FLN au cours de la Guerre d’Algérie. Notre remarquable débatteur, Patrick Rotman, scénariste du film, planta le décor : il s’agit d’une fiction, dont tous les personnages ont été inventés, à l’exception du sinistre Maurice Papon, Préfet de Police. Fiction qui s’appuie sur des faits réels, des événements qui se sont vraiment déroulés à Paris: à la suite de plusieurs attentats et meurtres de policiers par le FLN, la police décréta pour tous les Algériens de la capitale un couvre-feu. Ce qui fut mal accepté par le FLN, qui organisa une manifestation pacifique, et c’est l’horrible répression de cette manifestation qui est au cœur du film.
Il faut savoir que le FLN faisait régner en France la terreur parmi les travailleurs algériens, dont il exigeait “l’impôt révolutionnaire”, abattant ceux qui s’y refusaient ou qui ne voulaient pas manifester. Il se considérait comme en guerre avec la France, alors que celle-ci s’y refusait: ce n’est qu’en 1999 que l’on parla officiellement de ce qui avait été la Guerre d’Algérie; jusque-là, on parlait d’“événements”, de “maintien de l’ordre”, voire d’opérations de “pacification”!
Suite à cette “nuit noire”, les réactions en France furent extrêmement minoritaires: quelques rares journaux, un parti politique qui venait de naître, le PSU, mais aucune manifestation de masse. Pourtant, l’OAS multipliait les attentats, dont l’un visa André Malraux, un autre coûta la vue à une gamine de 9 ans. Ce dernier attentat fut suivi, lui, d’une énorme manifestation populaire (4 à 500.000 personnes), qui fut sauvagement réprimée par la police (9 morts au métro Charonne). Aujourd’hui, il est plus que temps d’en parler, et si possible d’en tirer les leçons.
Première question d’une élève: Pourquoi n’y a-t-il eu aucune réaction du gouvernement? Tout simplement parce qu’à l’époque, le pouvoir maîtrisait tout: pas question de mettre ces faits sur la place publique, pas question de désavouer le puissant Monsieur Papon. Quelques rares enquêtes, aboutissant toutes à des non-lieux. Aucune enquête parlementaire. Ne pas oublier qu’il n’existait en 1961 qu’une seule chaîne de télévision: un bref reportage fit état d’“une vitrine brisée”!! Grande presse muette, le grand étouffoir! Il faudra attendre 20 ans, en 1981, pour qu’un historien en renom, Pierre Vidal-Naquet, consacre un ouvrage à cette tuerie.
Deuxième question : Pourquoi avoir fait un film sur cet événement? P. Rotman dit avoir été très marqué par la guerre d’Algérie. Et puis, il y a tout de même eu, cette nuit-là, 50 morts au moins (fourchette très basse des évaluations) dans les rues de Paris. Le scénariste a donc pour cela interwievé notamment le conseiller du Premier Ministre de l’époque, ainsi que des responsables du FLN, pensant que le cinéma a la capacité de raconter l’Histoire, alors que des “trous noirs” dans l’inconscient des peuples incitent à ne pas regarder cette Histoire en face.
Autre question: Qui était M. Papon? Fidèle et zélé serviteur du Gouvernement de Vichy, il fut à l’époque Secrétaire Général de la Préfecture de Bordeaux, où il se signala en signant des décrets de déportation de milliers de Juifs. A la Libération, il fut “récupéré” par de Gaulle. A ce sujet, P. Rotman raconte que, tournant un film sur l’année 1944, il eut entre les mains une photo de de Gaulle sur un balcon, avec, en arrière-plan, Papon en personne! Par la suite, ce dernier fut nommé super-préfet dans le Constantinois en 1955/56, et enfin, en 1958, Préfet de Police à Paris, ce qui lui permit de présider à cette ignoble répression d’Algériens.
Question: Qu’est-il advenu des manifestants? Beaucoup ont été parqués au Vél’d’Hiv’ de sinistre mémoire, matraqués, souvent torturés. De cette période, Daniel Rachline et moi, seuls anciens d’Algérie présents, pouvons témoigner.
Question: Pourquoi la France n’a-t-elle pas reconnu ces faits? Parce qu’il s’agit là de faits presque “inavouables”, pour lesquels il n’existe pas de “vérité officielle”. Rappelons que la vérité historique oblige à dire que dans chaque camp (FLN et Armée fançaise), il y eut des violences, des tortures et des exactions.
Dernière question (d’un enseignant): Comment le film est-il ressenti en Algérie? Il a été assez bien accueilli. Chez les Algériens également, le temps fait son œuvre, et on peut aujourd’hui parler de presque tout, tant il est vrai qu’il faut démythifié, abattre les tabous, et regarder la Vérité en face.
Deux conclusions s’imposent à l’issue de cette séance:
1-C’est tout à l’honneur de notre pays de pouvoir compter sur des historiens-enquêteurs aussi talentueux et aussi courageux que P. Rotman pour traquer impitoyablement la Vérité et nous la restituer de façon aussi fidèle et intègre.
2-Nous à Mémoire 2000, qui nous sommes fixés pour but d’éveiller les consciences de nos lycéens, avons aujourd’hui gagné notre pari.
Guy Zerhat