Paru dans le Journal de Janvier 2010

Avec les commémorations du vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, personne n’ignore plus la signification du 9 novembre 1989 dans l’histoire allemande.
Si l’éclat, cette année, de la commémoration de la chute du mur a couvert l’ensemble de l’espace médiatique, de nombreux Allemands, des militants des “Droits de la personne humaine” à travers le monde, des rescapés juifs Allemands et Autrichiens et leurs descendants se souviennent aussi du 9 novembre 1938. L’Histoire et la langue commune ont retenu cette date comme celle de “la nuit de Cristal”, terme ironique et amer que le petit peuple berlinois donna aux violences antisémites planifiées et perpétrées dans toute l’Allemagne et l’Autriche annexée. Les historiens préfèrent à juste titre le terme de “Pogroms de Novembre” (Novemberpogrome), qui met l’accent sur la durée des événements, ou celui de “nuit de pogrom organisé par le Reich” (Reichspogromnacht), qui met l’accent sur leurs organisations par l’Etat nazi.

Rappelons brièvement le contexte et le déroulement des faits. Après cinq années de national-socialisme, les chefs nazis veulent accélérer l’émigration des juifs Allemands et Autrichiens. L’année 1938 sera celle de la radicalisation des mesures antisémites. Les juifs, déjà exclus de certaines professions et interdits de mariage avec les non juifs par les lois de Nuremberg, ne peuvent plus exercer aucun métier et sont condamnés à la misère. La violence s’exerce désormais directement contre les lieux de cultes et les personnes. Cette violence culmine pendant la nuit du 9 novembre. Prenant prétexte de l’assassinat d’un conseiller diplomatique allemand à Paris par Herschel Grynszpan, un jeune juif apatride, Goebbels mobilise dans la nuit les militants nazis. Les sections d’assaut nazies (SA), fortes d’un million de membres, et les Jeunesses hitlériennes mettent à sac et incendient synagogues et locaux israélites ainsi que les magasins et les biens des particuliers. Plus d’une centaine de Juifs sont assassinés, plusieurs milliers sont gravement blessés.

Dans les jours qui suivent, 30000 juifs Allemands et Autrichiens, sont arrêtés et déportés pendant plusieurs mois dans les camps de concentration de Dachau et Buchenwald.
Goebbels a voulu faire croire à des émeutes populaires spontanées. Les historiens ont établi qu’à l’exception d’une minorité de civils allemands qui ont participé aux meurtres et agressions, aux pillages et incendies, la population est restée spectatrice.
Les réactions aux “Pogroms de Novembre” de 1938 préfigurent celles des années de la Destruction des Juifs d’Europe. Les nations, en particulier les démocraties européennes et américaines et leurs opinions publiques, sont presque unanimes à condamner la violence de cette nuit de terreur et de meurtres, mais les Etats durcissent encore leurs législations contre les étrangers et les réfugiés. La quasi-totalité des juifs Allemands et Autrichiens tentent d’émigrer et de trouver refuge à l’étranger, mais les frontières du monde se ferment et les réfugiés sont pris au piège en Europe. Aucune condamnation de la part du Vatican en la personne de Pie XI, pas davantage de la part de son successeur en mars 1939, ancien Nonce à Berlin, le futur Pie XII…
La République fédérale d’Allemagne commémore chaque 9 novembre le souvenir de la chute du Mur de Berlin et des “Pogroms de Novembre”. Paradoxalement, depuis une trentaine d’années, le souvenir et la commémoration des événements du 9 novembre 1938 trouvent un écho de plus en plus large au sein de l’opinion publique.

Des plaques commémoratives ont été placées à l’endroit des synagogues détruites. Des rassemblements ont lieu au niveau communal et régional, et la journée est considérée comme un jour de lutte contre le racisme, pour le droit d’asile et contre l’extrême droite. Le souvenir des “Pogroms de Novembre” est d’autant plus essentiel que les Allemands commémorent le 27 janvier comme “journée du souvenir de toutes les victimes du national-socialisme”, ce qui passe sous silence la spécificité des persécutions antisémites et la Destruction des juifs d’Europe. Nul doute que l’Allemagne et les Allemands ont fait un travail de mémoire infiniment plus profond et frontal que l’Autriche et la majorité des Autrichiens… L’émergence de l’extrême- droite et de mouvances néo-nazis restent limitée en Allemagne, contrairement à l’Autriche ou d’autres pays européens. Le Parlement allemand a fixé la fête nationale au 3 octobre et non au 9 novembre. L’argument qui l’emporta est que les deux événements ne doivent pas se recouvrir et que la fête nationale allemande ne se fonde pas sur l’oubli des “Pogroms de Novembre”. On peut le discuter, voire le contester, mais force est de constater que l’Allemagne est aujourd’hui l’un des piliers les plus solides d’une Europe fragilisée par la montée des nationalismes et des idées extrémistes.
— Rose Lallier