Paru dans le Journal de janvier 2010
Algérie : Les années pieds-rouges, c’est un livre important qui vient d’être publié aux Editions La Découverte: grand reporter au Monde, l’auteur, Catherine Simon, fut la dernière correspondante permanente du journal en Algérie. C’est de cette Algérie qu’elle nous parle, plus précisément des “Années Pieds-Rouges” (1962-1969).
Lorsque l’Algérie obtint son indépendance, le 5 Juillet 1962, après une guerre aussi imbécile que meurtrière, on vit déferler sur le pays une nuée de militants gauchistes, communistes, trotskystes, guévaristes, castristes, enseignants, tous révolutionnaires idéalistes et exaltés, débarquant comme coopérants ou à titre individuel: ils allaient participer à la construction d’un pays nouveau, “réparer les dégâts du colonialisme”. On allait voir ce qu’on allait voir! Alger, à l’époque, “c’était La Havane”: il y régnait une effervescence extraordinaire, un bouillonnement permanent, remarquablement décrit dans l’ouvrage. Seulement voilà, mon attention a été attirée par ce qui, à mon sens, est bien plus qu’un simple “point de détail”: débarquant à Alger, ces merveilleux révolutionnaires profitèrent larga manu des appartements et des villas abandonnés par les Pieds-Noirs,partis en catastrophe laissant tout derrière eux.
Sans scrupule aucun, sans le moindre état d’âme, ces nouveaux venus s’abattirent comme des vautours sur cette “manne phénoménale des biens vacants”. Oh, je sais bien: ces biens avaient appartenu à ces misérables Pieds-Noirs, qui, c’est bien connu, étaient tous de riches colons qui pendant plus d’un siècle avaient fait suer le burnous. Alors bon, on n’allait pas se gêner! Objection, Votre Honneur: les statistiques de l’époque indiquent que seulement 3 % des Pieds-Noirs avaient un niveau de vie supérieur à celui des Français de la métropole, 91 % un niveau inférieur. Beaucoup d’entre eux, ceux de ma famille par exemple, n’avaient jamais fait suer le moindre burnous, pour la bonne raison que ce burnous, leurs parents et grands parents l’avaient porté. La plupart d’entre eux exerçaient de petits métiers (ouvriers, artisans, receveurs de bus, employés de mairie, etc…). Et puis, cette notion de “biens vacants”, ça ne vous rappelle rien? Pendant la dernière guerre, d’autres profiteurs, d’autres vautours, s’étaient abattus sur les appartements et autres “biens vacants” des malheureux, notamment les juifs, qui étaient partis pour des séjours imprévus à Drancy ou Auschwitz. Eh bien, sincèrement, je ne vois pas de grande différence entre ces deux catégories de profiteurs, pas de hiérarchie entre ces vautours.
Mais au final, la morale de l’histoire (car l’Histoire est parfois morale…) oblige à dire (c’est fort bien rendu dans le livre) que ces prédateurs ont le plus souvent très mal fini: au bout de quelques années, ces nouveaux venus se sont fait virer comme des malpropres par les Algériens: une colonisation leur suffisait, ils avaient déjà beaucoup donné, et le pays n’admettait pas la pluralité. Ce départ précipité et définitif se fit d’ailleurs bien souvent avec violence, après exactions, emprisonnement et tortures, volet sombre de toutes les révolutions.
Décidément, l’être humain chemine en permanence sur la ligne de crête, entre le blanc et le noir. L’essentiel étant de ne pas tomber du mauvais côté! Ce livre important (car ce sujet n’a jamais été abordé) m’a passionné. Il vous passionnera. Il m’a aussi passablement dérangé, mais ça, c’est mon problème.
–Guy Zerhat